Papyrus #3 – L’appel de la montagne

Il était une fois un petit garçon plein de vie, qui parcourait tout enthousiaste, par tous les vents et dans toutes les boues, les chemins creux et défoncés d’un bocage isolé pour aller chercher le Savoir à l’école du village, car le Savoir des siens ne lui suffisait pas.

Car c’était alors, en effet, le temps des grands Progrès : des allocations familiales aux tracteurs, de l’électricité à l’eau courante, de la pénicilline aux vaccins, que d’inventions magnifiques! Et au cœur de tout cela, l’école, qui éradiquait alors indifféremment les poux et les ploucs. En effet, les poux étaient devenus très simples à éliminer à grand renfort de DTT, cette autre merveille de la science chimique ; pour les ploucs, par contre, c’était toujours un peu laborieux, car il fallait tout d’abord enterrer leur langage terreux, mal approprié pour véhiculer les nouveaux savoirs. Mais à défaut d’être d’une efficacité absolue, les progrès en la matière s’avérèrent tout de même statistiquement significatifs dès lors que, l’électrification des campagnes aidant, la radio puis la télévision gagnèrent enfin ces audiences reculées.

Est-ce donc à l’école, ou par la radio, que le petit garçon découvrit les montagnes de légende? Selon ses souvenirs, l’école l’emmena voir la mer, à l’âge de sept ou huit ans, mais cela représentait encore l’excursion de toute une journée ; la montagne, à des centaines de kilomètres, était clairement hors de portée… Plus probablement, la montagne dut s’imposer à ses rêves de gamin comme à des milliers d’autres dans toute la Bretagne, à travers ses ambassadeurs les plus mythiques d’alors. Car, dans les années 50, les campagnes retardées et socialement défavorisées du Centre-Bretagne avaient leur Zinedine Zidane, comme plus tard les banlieues nord de Marseille au tournant du millénaire. Elles en eurent même deux dans cette décade : Robic, puis Bobet, coureurs cyclistes bretons de légende, s’il en est.Hsvelocopie

Ainsi ces lointaines montagnes, inaccessibles et pourtant synonymes de tant d’exploits héroïques, devinrent pour le petit garçon un rêve, un projet, l’étape obligée de sa propre ascension. Car le chemin était long depuis l’école du village pour se construire enfin une vie différente des siens, même si les bourses venaient compléter les allocations familiales pour aider les gamins des champs les plus doués à accéder aux nouveaux Savoirs nécessaires à la nation, à l’industrie, au progrès. Il parcourut donc patiemment les longues étapes en peloton, d’internat en internat ; ce faisant, il gravit laborieusement les cols de plus en plus raides, certificat d’études, BEPC, baccalauréat, semant chaque fois plus d’équipiers… Puis vint l’étape clé, la plus difficile : le contre-la-montre des Concours aux Grandes Ecoles.

Et il escalada tout cela sans pause, travaillant dur aux champs pour aider le père tout l’été, travaillant dur à la ville soir et week-ends pour payer sa chambre d’étudiant tout le restant de l’année.  Certainement il était fatigué… le classement le déçut ; il ne serait pas le premier polytechnicien de son village. Ni même centralien. Ingénieur chimiste peut-être ; mais il fallait descendre à Marseille ; et de toute façon, il n’aimait pas la chimie. Or le tour de France est sans pitié pour les retardataires d’un jour : éliminés ; pour lui, plus de bourse. Il lui fallait donc redescendre dans les collines, celles de l’université, ce qu’il fit finalement de bon cœur, car le rythme y était plus tranquille, et à condition qu’il s’engageât d’avance à travailler à la transmission de ses Savoirs pour l’état dès son diplôme en poche, une bourse confortable lui fut de nouveau allouée.

Ainsi il se traça désormais une vie tranquille, dans le confort et loin des champs à part quelques escapades de pêche à la ligne. Cette vie fut bientôt égayée par l’amour d’une compagne et de quelques enfants vifs, et restait rythmée toujours par les rentrées scolaires et les examens, mais du bon côté à présent.

Cependant, il restait tout de même à ce petit garçon devenu grand un rêve personnel à réaliser : voir ces montagnes qu’il avait tant imaginées gravir, pendant toutes ces années, et qui continuaient de le fasciner sur le petit écran désormais coloré. Il lui fallut encore quelques années pour mettre l’argent de côté et disposer d’une voiture assez fiable pour traverser la France, quelques mois pour finaliser le projet – choix de la région, se loger -, puis encore une de ces immenses journées d’été pour y arriver enfin : Jura, 900m d’altitude, presque trois fois plus haut que la plus haute lande des Monts d’Arrée !

Un mois ne suffit pas pour rassasier sa soif de montagne, et il y retourna souvent ensuite. Mais ce mois lui suffit à emmener la petite Kerleane s’étonner devant les curieux plissements calcaires des falaises du Doubs, découvrir la mythique Chamonix et sa mer de glace, se baigner dans les lacs de Neuchâtel et du Léman, voir décoller les deltaplanes, et surtout, au bout d’un chemin étroit et défoncé, pique-niquer un soir dans une vallée perdue des Diablerets, parsemée de chalets d’un bois hors d’âge, et troublée seulement du tintement des cloches des vaches.

J’ai encore en moi le bonheur familial de ce magnifique soir d’été… l’appel de la montagne a pris le relais. Et peut-être l’ai-je transmis à mon tour: ci-dessous, été 2005, Lili à son tour pose fièrement près de son premier sommet!

Pour ce parcours… bravo Papa.

Pour ce partage… merci Papa. 

Premiersommet_1 

2 thoughts on “Papyrus #3 – L’appel de la montagne

  1. Demat, le petit breton.
    Je viens de faire un tout en centre Bretagne, je pensais peut-être y retrouver des parfums d’autrefois, des images qui me transportent et ce fût le cas sur les photos anciennes. Mon domaine c’est le Morbihan, mes racines sont làs-bas et se sont allongée pour s’ancrer dans le des Pyrénées Orientales, mon job c’est la zoothérapie, l’écriture d’un mémoire. Ce qui anime mes journées, une tripoté de Chiots Terre-Neuve, tous aussi doux les uns que les autres, je t’invite à faire un tour, moi aussi je parle de ma bretagne mes origines.
    http://baradoz.blogs.psychologies.com/alpha_du_cap/
    bon vent.
    Nathalie Méchoulam Le FLOch

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