Je suis autonome, je suis responsable et je ne supporte plus l'autorité, me suis-je dit cette semaine…
Non, ce n'est pas tout à fait vrai.
Je suis autonome, mais travailler à plusieurs sur un but commun démultiplie les forces des uns et des autres. L'idéal pour avancer, c'est une équipe de gens bien autonomes et bien complémentaires, prêts à unir leurs forces sur un but qui a du sens pour tous. Mais il faut une bonne dose de responsabilité et de maturité individuelle pour cela… ou une autorité forte forçant tout le monde à ramer ensemble pendant un moment.
Je suis responsable moi-même, mais encore un peu immature et pas très courageuse, même si j'ai beaucoup progressé. Ma nature anxieuse me fait douter beaucoup et ne m'encourage pas à prendre des responsabilités. Mais généralement, je bénéficie aussi de la contre-partie: j'anticipe les risques, et face à mes propres responsabilités, je les attaque de front. Les projets dont j'accepte la responsabilité ont donc d'excellentes statistiques de succès, car j'ai moi-même évalué leur faisabilité avant de m'y engager.
L'autorité enfin… sujet passionnant. J'ai été élevée de façon très traditionnelle, qu'il s'agisse des valeurs familiales ou des systèmes scolaires dans lesquels j'ai évolué, où l'autorité avait une place importante. J'ai appris à respecter et surtout à obéir à mes parents, aux maîtres, aux chefs, aux représentants de toutes les formes d'autorité, religieuse, sociale, politique, professionnelle, académique…
Par chance, les univers dans lesquels j'ai évolué m'ont confrontée à des valeurs très différentes, ce qui m'a forcée à questionner les croyances, sinon les autorités elles-mêmes. J'ai rapidement appris à penser par moi-même et les premières autorités que j'ai relativisées, à l'adolescence, étaient celles de mes parents, normal à cet âge, puis du catholicisme, devenu beaucoup trop étroit pour mes nouveaux questionnements scientifiques dès mes premières années d'études universitaires.
Mais je ne pouvais pas remettre en cause l'autorité d'un prof, d'un chef ou même d'un douanier et je me souviens d'en avoir pleuré des heures, quand cette autorité était injuste, implacable ou inhumaine, dans l'une ou l'autre de mes expériences de vie, coincée dans mes dilemnes. Je revois très bien dans quel état émotionnel j'étais alors et surtout je comprends maintenant combien cette souffrance était en fait un écho à mes propres blessures: "si je n'obéis pas, je ne serai plus aimée". Or je ne voulais pas obéir parce que c'était idiot ou insupportable ou en désaccord profond avec l'une ou l'autre de mes valeurs, et je voulais être aimée parce que je suis un être humain et j'ai besoin de l'amour, de la récompense ou de l'approbation d'autrui pour être heureuse (croyais-je). La contradiction me mettait dans tous mes états…
Il m'a fallu beaucoup de courage il y a 14 mois pour casser ce schéma, quand mes chefs m'ont demandé de prendre encore plus de responsabilités alors que je n'en avais plus la capacité matérielle et que je n'y trouvais plus aucun sens. J'en ai pleuré encore, mais j'ai surtout pris conscience que je ne pouvais plus continuer sur ce mode-là.
Le fait que ces responsabilités étaient de plus diluées dans des rôles peu clairs, allant à l'encontre de mon besoin d'autonomie, m'ont aidée à sauter le pas.
En outre, le non-alignement de ma hiérarchie ébranlait tellement la notion d'autorité que je ne savais plus de toute façon plus à quel saint (ou plutôt à quel chef) me vouer. Je pense aujourd'hui que si mon équipe est restée soudée et motivée (aucun n'a démissionné dans les remous) alors qu'au niveau du dessus, nous étions trois cadres à jeter l'éponge rien que dans notre département, c'est peut-être tout simplement parce que j'avais beaucoup filtré le "merdier" auquel ma propre hiérarchie m'exposait, en particulier leurs doutes et leurs guerres d'influence, et mes propres doutes et guerres d'influence; je continuais l'effort de construire pour chacun une histoire dans laquelle son propre rôle s'inscrivait au service d'un but commun: celui exprimé par la direction en début d'année, qui ne me parlait pas à moi, mais que je pouvais parfaitement décliner en objectifs plus fins et compléter par des objectifs de développement personnel connaissant bien les personnalités des uns et des autres.
Cet exercice, mon chef ne l'a pas fait pour moi, par excès de confiance, par manque de temps… j'étais sa confidente la plus stable et nous pouvions discuter franchement de tous les problèmes, mais si lui en était soulagé, moi je n'en dormais plus, incapable de trouver des solutions (je pouvais en imaginer, mais pas agir). Il a oublié que je n'étais pas comme lui, un roc résistant à toutes les crises.
Je lui ai donné sa chance: un ultimatum de 10 jours pour "me donner du sens à tout cela". Il n'a même pas essayé, à ma grande déception; il m'a envoyé chez son chef, qui a joué toutes ses cartes avec des confidences que je n'aurais jamais soupçonnées, mais qui ne m'ont pas plus rassurée, puis chez le PDG, qui a joué toutes ses cartes avec des promesses qui m'ont franchement ébranlée le temps d'un week-end de réflexion, mais qui ne m'ont pas convaincue.
Je n'y croyais plus.
Aujourd'hui je me sens libérée et grandie, parce que je n'ai plus à me débattre pour m'aligner sur une autorité plus ou moins crédible. Mais c'est très difficile de se retrouver sans autorité quand on a des schémas d'obéissance gravés en soi depuis l'enfance. Je me suis sentie déstructurée et très seule face à mes responsabilités. On peut accuser l'autorité de tous les maux (y compris ses propres défaillances), c'est bien pratique… Finalement une bonne leçon d'autonomie et de responsabilité.