Le féminin n’était pas une évidence pour moi.
Enfant, j’enrageais d’être une fille.
Je suis née au début des années 70. Mes arrière-grand-mères, que j’ai croisées jusque vers 1980, vivaient encore peu différemment des multiples générations qui les avaient précédées. Mes grand-mères, l’une aux champs, l’autre exodée puis revenue, avaient avant tout souhaité pour leurs enfants, filles et garçons confondus, toutes les victoires scolaires en vue d’un indispensable progrès social, financier et statutaire. Ma mère avait ainsi eu son bac, avec mention, puis une maîtrise et le CAPES, pour enseigner. Sa première année d’enseignement, elle s’est mariée, est tombée enceinte de moi, et donner ses cours en pantalon était interdit. Mais elle avait coupé ses cheveux, court, très court, et elle ne les a plus jamais laissé pousser.
C’était le temps des conquêtes féministes.
En 1974, quand Anne Chopinet, la première fille entrée, major qui plus est, à Polytechnique, a défilé sur les Champs Elysées au 14 juillet, mon père m’a dit: quand tu seras grande, tu feras Polytechnique. Enfin je suppose, tout ce dont je me souviens, c’est d’un repas de famille, j’avais 3-4 ans, où j’ai fait rire toute la famille en expliquant que quand je serais grande, j’irais chez Prisunic. Ben oui, c’était vachement plus concret pour moi! et pauvre Papa tout dépité a dû expliquer aux oncles et tantes et pépé-mamie-pépère-mémère que bien sûr, il avait d’autres ambitions pour sa fille adorée que la carrière de caissière en supermarché…
Maman quant à elle avait dû limiter les poupées, dinettes et ensembles de coiffeuse au profit d’un Meccano, jeu dont elle raffolait elle-même. Ou peut-être était-ce moi qui, spontanément, recherchais les jeux de garçons, du moins les jeux de construction et d’imitation, car je n’ai jamais été bagarreuse.
J’ai passé toutes mes premières années dans la croyance que la féminité était une tare.
A l’adolescence, la réalité hormonale m’a rattrapée. Comme j’ai eu honte de ces formes incompréhensibles, les seins surtout, tellement je les avais sous les yeux; j’ai passé des cours de gym avec d’affreux points-de-côté à force de courir les bras croisés pour ne pas les sentir balloter; et j’optimisais le recul de ma chaise en classe pour éviter de les passer au-dessus de la table, tant ils me semblaient énormes en surplomb (90B à l’époque, pas dramatique pourtant!). Et je continuais de m’habiller en pantalons et pulls informes, les cheveux courts, sans maquillage, comme le voulait la règle familiale.
Mon corps m’a donné beaucoup de signaux de protestation, mais cela, c’est seulement aujourd’hui que je le comprends. Heureusement, je ne suis pas tombée dans l’anorexie. Le régime n’était pas encore une obsession pour les adolescentes de province dans les années 1980. Je me suis lentement réconciliée avec la féminité en m’éloignant de la maison, puis grâce à Mari Charmant, puis par l’expérience des maternités.
J’ai appris à ce moment une expérience douloureuse de ma naissance: Maman était persuadée de porter un garçon. Quand je suis née, fille, avec la chute des hormones (probablement accentuée par la prise des médicaments pour stopper sa lactation, car dans le modèle anti-femelle régnant à l’époque, l’allaitement était franchement méprisé), elle a, sur le coup, eu de la peine à m’accepter. Elle me l’a expliqué tranquillement à ma 1ère grossesse, pour me prévenir de ne pas m’inquiéter devant un tel sentiment le cas échéant, car purement transitoire. Je n’en ai pas douté, car j’ai vraiment de la peine à m’imaginer rejetée par ma mère étant bébé, vu mes souvenirs d’enfance bientraitée et l’ayant vue ensuite materner mes frère et soeur sans histoire.
Mais maintenant que je travaille sur mes limites et mes croyances pour mieux progresser, je sens cette histoire remonter en moi avec tout ce qui l’a, peut-être causalement, suivie dans ma construction. Mon étrange thérapeute de l’autre jour a très vite mis la main sur mon problème d’intégration d’un modèle féminin positif. J’ai les cheveux longs, des habits et des gestes de femme aujourd’hui, donc pas trivial de détecter mon passé de garçon manqué… mais j’ai, dit-elle, un déséquilibre du féminin au profit du masculin. D’où différents problèmes hormonaux qui se sont certes améliorés depuis l’adolescence, mais pas totalement. Je ne lui avais pas parlé de ces problèmes non plus.
Pourquoi ne l’avais-je pas compris moi-même? J’avais tous les éléments en tête. Comment accepter d’être une fille, comment vivre mon "féminin réel" au mieux, dans ces conditions? Lâcher prise. C’est très bien expliqué dans le livre de Rosette Poletti. Comprendre que j’ai grandi avec des croyances limitantes, un bel exemple ici: une fille ne vaut rien par elle-même, pour valoir quelque-chose elle doit faire aussi bien que les garçons dans un monde aux valeurs masculines d’action, de réussite, de pouvoir. Super Women, Kate Reddy, voilà mes modèles; si j’étais un gars, ce serait plus facile… Et c’est bien ce que pensait ma mère à ma naissance. Elle ne s’est sentie bien dans sa peau qu’après 30 ans. Je suis venue avant…
Mais je me rends compte aussi qu’en commençant à travailler mon développement personnel, il y a 2 ans, mon intuition m’a guidée sur le bon chemin. Fille du Poher, Les Trois Soeurs, mes papyrus m’ont permis de travailler à la revalorisation des modèles féminins dans ma lignée imaginaire, avec une maladresse qui me fait sourire aujourd’hui, car mes héroïnes portent toutes des limites et des croyances qui doivent réfléter des morceaux des miennes. Ainsi la Fille du Poher a-t-elle un fils, dans lequel elle projette tout ce qu’elle ne peut être elle-même. Mais l’épilogue est une évidence. Les filles ont leur place dans l’histoire. Je n’ai pas dit quelle place. Je ne le sais pas… pas encore.
Plus fascinants encore mes mandalas. Je ne les ai pas publiés ici dans l’ordre chronologique de leur réalisation, mais dans l’album que je feuillette, la progression est évidente. De plus en plus de mandalas figuratifs, avec des personnages centrés très féminins. Le couple, la maternité sont représentés, mais beaucoup de personnages sont irréels, des fées, comme si j’idéalisais la poésie de la féminité, les contes de fées et les légendes de princesses, mais pas la réalité.
Féminin réel, l’association des deux mots m’est apparue comme une évidence hier: voilà ce que je dois travailler à présent.