Ce dimanche matin a commencé par un débat passionné sur cette question avec Mari Charmant, qui en est convaincu.
Jusqu’au jour où j’ai franchi le pas de débrider ma créativité en dessinant mes premiers mandalas, j’étais moi aussi persuadée que derrière chaque artiste se cachait une souffrance, un mal-être ou un mal de vivre, qui le conduisait à transcender son quotidien et/ou ses émotions par le biais de la création. Les Baudelaire et Verlaine, Camille Claudel ou Chopin ont tous de la douleur, de la tristesse ou de la colère dans leur histoire. Le seul terme d’art-thérapie, à lui seul, résume le mythe…
Forte de cette croyance, assez universelle il me semble, jamais je n’aurais repris les crayons de couleur de mon enfance si je n’avais pas eu la curiosité de tester cette approche non comme thérapie, mais comme outil de développement personnel. L’innovation et la créativité me sont nécessaires dans ma voie professionnelle, et je ne peux me contenter de ronronner sur des acquis de connaissances, même les plus techniques. Dessiner sur une page blanche est tellement différent de mon quotidien depuis 20 ans que cet exercice à lui seul devait forcément m’apprendre sur moi-même.
Or cet exercice, effectué une petite trentaine de fois en 18 mois, m’a montré que pour ma part, les plus beaux dessins que j’ai réalisés et qui frappent ceux à qui je les montre sont ceux que j’ai créés dans un état émotionnel particulièrement positif. Maintenant, je me suis spécialisée; j’exprime mes émotions négatives par l’écriture et le plus rationnellement possible, pour leur trouver des solutions. Par contre j’exprime mes émotions positives par le dessin et le plus spontanément possible, pour retrouver l’imagination et les joies enfantines que j’avais tout simplement bridées en devenant adulte. Et entre ces deux pôles, je me sens terriblement bien, et surtout, toujours en progrès.
Maintenant, cela ne fait pas de moi une artiste. Mes dessins me prennent une heure, soit ce que je peux leur accorder de temps en temps dans une soirée de mon quotidien. Mais est-ce que cette démarche, d’expression d’imagination positive plus que défoulement d’émotions négatives, est aussi celle de vrais artistes, universellement reconnus pour avoir créé du Beau?
J’aurais aimé citer les artistes qui me font vibrer actuellement. Mario Duguay, mais arrivé à la peinture après un passage dans les paradis artificiels les plus durs, je doute qu’il ait un passé émotionnel lisse. Nathalie Manser, Medwyn Goodall, Michel Pepe et Logos, mais ils ne sont guère écoutés, a fortiori en boucle, que par les amateurs de musiques New Age. Jordi Savall et sa famille, dont j’ai récemment appris qu’ils avaient obtenu le titre d’artistes de la paix pour l’UNESCO il y a quelques mois, mais ils embellissent les anciens répertoires médiévaux et baroques plus qu’ils ne créent eux-mêmes.
Donc, malheureusement, je dois me rendre à l’évidence: les oeuvres artistiques reconnues et appréciées de la majorité des gens semblent souvent nées d’une souffrance, ne serait-ce que d’un chagrin d’amour… peut-être parce que la souffrance est une expérience universelle?
Mais je ne suis pas convaincue que ce soit la seule voie pour créer. Au contraire, je pense que c’est notre culture qui nous a parqués dans cette croyance. Je pense que l’imagination est le propre de l’homme; et surtout, au-delà de l’imagination, notre capacité de créer une réprésentation de notre imaginaire, qu’il s’agisse de partager une émotion ainsi représentée avec nos pairs, ou de réaliser une invention vecteur de progrès pour l’humanité…
Et cette créativité, cette "réalisation de l’imaginaire" est accessible à chacun d’entre nous, j’en suis convaincue, même sans le moteur de la souffrance émotionnelle pour en forcer l’expression, en particulier l’expression artistique.
Alors, on s’y met?