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Thalasso ayurveda – le bilan

L’été 2015 était trop beau, trop heureux, trop plein de nouveaux projets enthousiasmants pour que je revienne écrire ici les notes de ma thalasso… alors peu importe, il me reste l’énergie de ce séjour si ressourçant.

Les massages ayurvédiques m’ont profondément relaxée et ré-énergisée à la fois. La diététique me convenait à merveille: saine, avec toutes sortes de légumes, épices et condiments, une avalanche de goûts et de textures inhabituels, un vrai voyage des sens. et quelques plaisirs bretons aussi… caramel au beurre salé, crêpes et far au pruneau, et le buffet de fruits de mers, miam miam! une vraie plongée dans les délices de mon enfance! (bon çà c’était juste 2-3 entorses à la pension diététique 🙂

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J’ai nagé un peu, dans l’océan aussi, déjà bien assez “chaud” pour moi l’habituée de la pointe de Bretagne – j’ai marché et même un peu couru, vers la ville paisible d’un côté, vers les criques et les mégalithes encore bien sauvages de l’autre, quel site idéal!

IMG_2119IMG_2115Je n’ai pas assez écrit, dessiné, fait mes bilans perso, car j’avais aussi mes dossiers à avancer quelques heures tous les jours, et puis 4 jours, c’est bien court.

Mais je reviendrai.IMG_2135

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Thalasso ayurveda J1

Premier matin… je prends le temps de quelques photos à la plage, après le petit déjeuner. 100% breton, le petit déjeuner – pour la diététique ayurvédique, on verra demain – j’ai craqué sur le far et les crêpes beurrées de beurre bien salé, à tremper enroulées dans le café bien noir: c’est un concentré de mon enfance que je retrouve ici! IMG_2080

A 9h, à la réception, cela se bouscule, chacun porte visiblement le stress dont il est venu se débarrasser ici. J’observe, je respire, j’attends, je relativise, en silence – ce stress m’est quotidien, mais je ne l’ai pas amené ici. Je suis en solo, juste avec moi, je peux être zen, pas d’agenda d’ados, pas d’agenda perso, pas d’agenda boulot, ici juste l’agenda thalasso, et je les laisse tout organiser pour moi. A 9h30 je suis à l’espace Ayurveda, pour une première séance d’entretien/bilan et de massages de 1h30. J’ai beaucoup de mal à lâcher prise sur cette première séance, je ne suis pas encore adaptée au lieu et aux soins… La séance ayurvédique est suivie par un bain hydromassant et une séance de hammam, qui m’aident enfin à me détendre, avant de découvrir la diététique ayurvédique sur la terrasse au soleil face à la mer. Pour moi qui raffole de plats de légumes bien assaisonnés aux herbes et aux épices, c’est un vrai régal! et peu importe l’ordre quelque peu déroutant pour mes habitudes occidentales, au contraire, bousculer ainsi mes sens bouscule aussi mes croyances et les évidences bien ancrées… je sens déjà ma créativité s’envoler! et je n’arrive même pas à finir la panisse…IMG_2084

L’après-midi, je retourne à mes dossiers les plus urgents, porte-fenêtre grande ouverte sur l’air de l’océan. Je retourne à l’espace thalasso en fin d’après-midi – pas de chance la piscine principale est fermée pour maintenance encore 48h, mais je peux faire de la gym aquatique dans l’autre. Malheureusement, le moniteur est l’archétype du prof de sport à l’égo proportionnel à la musculature qui nous infantilise à coeur joie, ce que je n’aime pas – je ne recommencerai pas. Peu importe, le temps est magnifique et je me ressource davantage en marchant sur le sentier des douaniers après un nouveau dîner magnifique de découvertes gustatives et plein de fibres à souhait, avant de rentrer passer un important coup de fil aux Etats-Unis pour la bonne surprise de mes dossiers du jour, une demande d’achat d’un contact outre-atlantique auquel je ne croyais plus… en me couchant ce soir-là, ma belle humeur est au plus haut!IMG_2087

 

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Papyrus #5 – Le dernier cheval

Perjakezhelias Il est né au milieu de la Grande Guerre, a grandi au milieu d'une dizaine de frères et soeurs, a vécu quatre-vingts années au milieu de la Bretagne.

Il était de l'avant-dernier des mondes.

Il n'y a pas assez de mots pour décrire ce monde d'avant le nôtre. Surtout en français.

Dans ce monde d'avant, l'habileté d'un homme se mesurait à la rapidité de sa faux à dénuder les terres affleurées de rochers sans que jamais une étincelle ne vienne embraser les herbes sèches.

Dans ce monde d'avant, la subtilité d'un homme se mesurait à la précision de la modulation des gestes et de la voix qui guidaient son cheval, son troupeau ou son chien, selon le moment, dans ce ballet complexe où chacun jouait sa subsistance en synergie.Chienguiaudet

Les chevaux… depuis l'enfance, il leur parlait, il les menait. Il avait reçu tous les savoirs de la terre en héritage, comme ses frères, de son père, qui les tenait de son père, et ainsi de suite, sur ces mêmes terres depuis au-delà du temps des premières archives des églises. Il maîtrisait toutes ces habiletés, toutes ces subtilités, depuis le coeur de l'enfance`où il est si facile d'apprendre, et où tout lui avait été transmis.

Quand ses fils à lui sont nés, à la fin d'une autre guerre, le monde n'avait pas encore vraiment changé. Mais soudain tout s'est accéléré. Quand le petit est allé à l'école, l'électricité est arrivée. Il était malin ce petit, curieux du monde d'en haut et des choses de l'esprit, pressé d'y détourner l'habileté et la subtilité nécessaires à faire tourner le monde d'en bas en bonne intelligence. Désormais l'électricité pouvait garder les vaches avec un simple fil, et éclairer les livres jusque tard dans la nuit. Ce gamin-là a été vite perdu pour la ferme, poussé aussi vers d'autres sommets par sa mère et sa grand-mère qui avaient déjà compris que le monde changeait… et peut-être aussi saisi l'excuse des allocations familiales et bourses Perjakezhelias2 d'étude pour se libérer d'un gaillard à nourrir et blanchir d'octobre à juin 😉

Il restait donc l'aîné, tout aussi travailleur, toujours de bonne humeur, solide comme sont les hommes de cette terre (même le petit, tout intellectuel qu'il était, portera encore des sacs de 50kgs à passé cinquante ans). Ses bras étaient bien utiles, il y avait toujours à faire: il était bien préparé à son tour à reprendre une ferme sur ces terres du monde d'avant, la tête, la voix, les mains pleines du savoir du père, et du grand-père avant lui. Habiletés, subtilités du travail en synergie avec la terre et les bêtes, transmises une nouvelle fois au coeur de l'enfance où il est si facile d'apprendre…

Cheval Mais le monde d'avant s'effaçait déjà, et ces savoirs étaient remplacés par d'autres. Il était temps de faire des choix. Qui donc menait encore des chevaux aux champs? Le nouveau monde était celui des machines. Et ce fut donc le temps du dernier cheval… Pour le père, un crève-coeur. Pour le fils, la fierté de conduire le tracteur, pour mieux promettre aux filles des bals de village le confort d'une ferme moderne et rentable.

Mais le monde d'avant s'effaçait encore et encore, et de plus en plus vite. Le tracteur par exemple amenait d'autres questions: les petites parcelles encadrées de hêtres et d'ajoncs n'avaient plus de place dans ce monde mécanique, et il fallait plus d'argent pour faire tourner ce monde-là. Alors, comme pour le cheval, le père a résisté. Mais plus fort cette fois. Ces terres étaient les siennes, celles de ses frères et soeurs, celles de ses cousins. Celles que ses aïeux avaient lentement modelées à leur rude et pourtant savant labeur. Ils savaient où courait l'eau et quand chantait le vent de solstice en solstice, et chaque monticule, chaque roche, chaque arbre portait un bout de leur histoire, de joie ou de querelle, souvent un mélange… Renverser ce monde-là c'était toucher à tous les rêves oubliés, à toutes les rancoeurs enterrées, à tous les fantômes cachés derrière la moindre ligne du cadastre ancien. Voilà pour l'irrationnel. Et il est vrai pour le rationnel que ces terres ne valaient rien, trop rocheuses, trop pauvres, tout juste bonnes pour la lande et la bruyère et un peu de subsistance au milieu… Personne n'a insisté pour les rentabiliser. Elles sont donc restées aux vieux, à ceux du monde d'avant, avec leurs petits lopins morcellés de quelques hectares au faible rendement, leurs quelques vaches et poules, dans leurs fermes sombres, mal chauffées et mal aérées. Le fils a trouvé un emploi mieux payé pour ses bras solides, avec la sécurité sociale, à 15km, comme maçon dans un bourg un peu plus prospère; d'ailleurs, il y avait là-bas une fille adorable, et qui savait que les plus belles maisons sont celles des maçons… la décision a été vite prise.

Le père est resté seul, bientôt à la retraite agricole, cette belle invention du monde nouveau, avec la mère, le chien, un potager et quelques lapins. Impuissant à freiner ces mutations qui allaient trop vite pour lui, il les suivait depuis longtemps, de son mieux mais de loin, dans le journal, à la radio, puis, petite pension de retraité aidant, à la télévision. Il a continué à regarder son monde changer, son savoir de l'ancien monde s'effacer dans une évidente inutilité. Il voyait de temps à autre ses petits-enfants, partis d'emblée à la conquête du nouveau monde, habillés comme les princes des légendes, nourris comme des cochons à engraisser, transportés confortablement en voiture même sur le chemin de l'école, et le nez devant la télé dès le plus jeune âge. Que pouvait-il leur raconter, à ces petits-là? Ils étaient bien sûrs sourds au breton que leurs parents s'empressaient d'oublier: à les écouter, quand ils voulaient bien en parler, il ne restait que la honte de cette culture d'un autre âge. Alors il leur parlait seulement en français: la langue des livres, la langue des professeurs, la langue du journal, la savante langue du monde nouveau.  

Rougir-detre-paysan Le reste n'a plus jamais été dit. La langue du monde nouveau savait analyser, décrire et expliquer. Elle ne savait pas dire les émotions du monde d'avant, le beau, le vrai, l'évident, et lui restait de toute façon trop étrangère pour oser lui faire dire sa peur d'être oublié ou pire, d'être à jamais celui dont on a honte, encore moins oser crier sa colère de n'avoir plus d'autre existence que celle d'être le père, le vieux, l'ancêtre… le dernier dépositaire d'un savoir dont plus personne n'avait que faire… comme son dernier cheval, en 1960.

Il avait fait son temps, les articulations usées, le corps fatigué. Il a attendu son tour de passer dans l'autre monde, chargé de tout ce qui n'avait plus de raison d'être, de tout ce qui ne se disait plus.

Le monde d'avant s'est effacé, et son empreinte, celle du dernier meneur de cheval, avec.

Il ne reste que quelques photos et l'évidence des études ethnographiques. Et les questions sans réponse d'une petite-fille face à aux émotions non-dites héritées de cet autre temps…

(c) Kerleane – Nov 2009-Mai 2010Nature2009small

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A la recherche d’un héritage perdu

Dans le travail que je fais sur moi, j'ai récemment réalisé qu'il me manquait des pans entiers de transmission de mes grand-parents. Pourtant je les ai bien connus, jusqu'à mes 4 arrière-grand-parents Peperememere maternels que j'ai eu la chance de voir aux fêtes de famille et en vacances jusqu'à mes années d'école primaire. Mais voilà, l'essentiel de cette famille vivait dans un autre monde. Je ne peux pas décrire ce monde avec des mots, car on ne m'en parlait pas; mais je l'ai vu avec mes yeux d'enfant. Les photos racontent ce que j'ai vu, quand j'arrive à mettre la main dessus… on ne prenait pas les photos du quotidien. En voilà deux.

Même leur langue ne m'était pas transmise. Ma mère a suivi l'armée une partie de son enfance et comprend le breton de ses parents mais ne le parle pas. Mon père a pris en grippe sa langue maternelle dès sa première semaine d'école, quand tout fier d'avoir fini son travail il s'est écrié "j'a fini!" et a fini effectivement… au coin pour avoir mal parlé en français. La langue de ses parents était la langue des ploucs. A ne pas transmettre, sous aucun prétexte.

Le métier de ses parents aussi était le métier des ploucs. Il était temps de passer dans un autre monde, Kerlosket celui du progrès. A cette époque, on a arrêté de parler de paysans, ils sont devenus agriculteurs (Les petites exploitations du Centre Ouest Bretagne – Etude d'Olivier Pousset en 2005, p.29). Le paysan, c'est le gardien du pays (et du paysage), il est d'un autre temps. L'agriculteur est un savant qui cultive la terre avec les moyens scientifiques et techniques les plus modernes (idem pour l'éleveur). Les Bretons n'ont eu de cesse que de rattraper leur retard, à peine électrifiés (de mémoire, en 1951 pour la ferme de mon père), pour s'engager à fond dans une agriculture moderne et productiviste qui nous a amené la sécurité et la diversité alimentaires.

La vidéo ci-après, une interview TV des années 1960, est édifiante à ce point de vue: remembrement en Bretagne. En 1960 l'exode rural était une réalité terrible au Centre Bretagne. Les jeunes ne restaient plus au village, en particulier les plus travailleurs et les plus intelligents qui trouvaient de meilleures conditions de vie ailleurs. Il paraît terriblement naïf, cinquante après, de croire que d'abattre les talus (autrement dit, sacager le bocage, car c'est bien ce qui s'est passé) allait convaincre plus de jeunes de s'installer dans des exploitations agricoles plus grandes et plus modernes. Mais ce document en témoigne…

Ma famille maternelle a vendu la plupart des terres à cette période pour prendre une retraite tranquille dans une maison avec le confort moderne (eau, gaz, électricité, toilettes, carrelage, et le chauffage central en option). Dans ma commune d'origine de ce côté maternel, le remembrement a été effectué très efficacement. Quand j'étais adolescente j'y déprimais pendant les vacances, au milieu des élevages industriels de poulet et des grands champs délavés par les pluies d'hiver qui puaient l'épandage de lisier pendant toutes les vacances de Pâques. On ne pouvait déjà plus boire l'eau du robinet. Même l'étang dont la commune "station verte de vacances" était si fière donnait sur un abattoir industriel, dont les déchets descendaient à ciel ouvert. Horreur. Cette région nourrit encore l'Europe, avec un revenu moyen par ménage de 1000 euros mensuels. Un autre monde.

Et là… j'ai un blanc. La commune d'origine de mon père n'a pas remembré. Pourquoi? quelle était la position de mes grand-parents sur ce sujet? dans quelle mesure l'absence de remembrement des minuscules parcelles exploitées par la famille, entourées d'épais talus boisées et pleines de morceaux de granit dont certains font plusieurs m3, a-t-il découragé la reprise de la ferme par mon oncle (devenu manoeuvre comme dans la vidéo… cela devait payer plus!)? Comment mon grand-père interagissait-il avec ses enfants, dont deux sont devenus universitaires grâce aux bourses mais gardent à jamais le mauvais souvenir de leur contribution aux corvées des foins, des moissons et de la récolte des patates qu'il leur demandait à leur retour l'été?

Je n'en sais rien… Nous ne faisions que passer les voir une demi-journée ou le temps d'un repas de famille. Ce monde-là n'était pas pour nous. Aujourd'hui je me rends compte que je ne sais rien de ce grand-père que j'ai embrassé petite pourtant. Usé par la vie, les rhumatismes, tout courbé, rétréci par les années, il n'avait plus d'espace que pour sa voix: il parlait fort, trop fort, mais toujours en breton pour les sujets personnels avec mon père. Je n'ai rien entendu, rien retenu de lui.

Est-ce que j'aurai le courage d'interroger mon père sur ces questions qu'il a lui-même enterrées dans sa mémoire?

Comment un homme peut-il vivre sereinement le déni par ses enfants les plus brillants des valeurs que ses ancêtres lui ont patiemment transmises depuis des générations (du 16e au 18e, la majorité de ses homonymes étaient déjà paysans dans sa commune)? comment a-t-il vécu l'agonie de son village, tombé de 1500 à 500 habitants entre sa naissance et son décès? Quel respect ancestral puis-je construire concrètement sur son souvenir aujourd'hui, alors que je n'ai aucun héritage spirituel, intellectuel, seulement les gènes et l'héritage émotionnel de la honte qui a toujours été une évidence, et celui de la colère que je devine avec le recul que j'ai pris aujourd'hui?

Les femmes de ma famille, en particulier maternelle, m'ont transmis bien des valeurs sur lesquelles je construis encore ma vie au quotidien. Les mutations du siècle dernier n'ont pas changé les liens sacrés de la maternité, et elles ont sû les accompagner de bien d'autres messages porteurs de sens. Mon grand-père maternel m'a aussi donné une autre vision de la culture bretonne, dont il appréciait particulièrement le folklore et la musique; c'est chez lui aussi que j'ai lu Pierre-Jakez Helias et de jolies légendes. Mais côté paternel… le vide. En fait, la seule valeur universelle que tous les pans de ma famille m'ont transmise avec une constance admirable était:

"Travaille bien à l'école, et tu réussiras".

Ce que j'ai fait.

Mais il me semble que je pourrais revendiquer un autre héritage… je n'ai plus guère d'autre choix que de l'imaginer. Sans doute le moment de créer un autre papyrus…

Peut-être aussi que ce remue-méninges n'est pas par hasard en coincidence avec l'arrivée de son premier arrière-petit-fils fils de paysan. Je me méfie des hasards, maintenant. Ma soeur a choisi cet autre chemin de vie, les pieds dans le bocage… et je me demande quel sera le destin de mon petit neveu au prénom 100% breton, qui va être nourri aux paniers bio par sa maman universitaire, tout en accompagnant son papa sur son tracteur d'agriculteur conventionnel d'ici quelques années! Réconciliation? en tout cas, bienvenue petit bonhomme, je te souhaite beaucoup de fierté de tes différents héritages!

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2004 – Racines

Après ces vacances qui m’avaient enfin requinquée, j’ai commencé à reprendre du temps pour moi. Après plusieurs années passer à lire essentiellement sur l’éducation, la famille, le développement de l’enfant, d’un côté, et de l’autre, des essais sur le management, les différences hommes-femmes, l’organisation des sociétés humaines… j’ai commencé à acheter à Psychologies Magazine et je lisais tout, jusqu’aux petites annonces, que je trouvais fascinantes car pleines de mots dont je n’avais aucune idée, coaching, analyse transactionnelle, etc.

C’est aussi à ce moment, à la fin de l’été quand les jours de plus en plus courts rappellent l’approche du temps des morts (Toussaint, un temps très fort dans le tréfonds de la Bretagne d’où je viens), que j’ai commencé à explorer les nouveaux outils développés par le Conseil Général des Côtes d’Armor: base de données des registres paroissiaux Genearmor interrogeable en ligne, et microfilms des archives départementales, registres paroissiaux du 17ème et du 18ème siècle, cadastres anciens… 

Anciens Mon patronyme étant peu commun et centré déjà il y a 3-4 siècles sur la commune d’origine de mon père, il m’a été facile de sortir de la base tous les homonymes, et j’ai reconstruit manuellement la trace de 2 ou 3 arbres sur 2 siècles, sans savoir si l’un d’eux a effectivement directement conduit à moi. Mais en observant les mariages mélangeant toujours plus ou moins des patronymes locaux encore présents dans le coin 3 siècles après, et la relative petitesse de la population (enfin, surtout de ceux qui arrivaient jusqu’au mariage), j’ai fini par conclure que je devais croiser un ancêtre ou un cousin ou un voisin d’un ancêtre dans quasiment chaque page des registres paroissiaux, et j’ai commencé à m’y balader au hasard. Par chance, sur cette commune, les registres sont en bon état et généralement assez lisibles, passé quelques spécialités d’antan (tracé des lettres différents, et utilisation de septante mais bon, depuis 12 ans en Suisse, je le pratique moi-même!).

Tout cet exercice était absolument sans surprise, confirmant simplement l’extrême linéarité de la vie de ces anciens. A part la forte mortalité enfantine et en couches, rien de surprenant dans ces registres campagnards: très peu d’enfants illégitimes, et quasi pas de mort violente, un homme écrasé par une charette, et une mendiante et sa fille retrouvées mortes dans un champ en plein été, ce dernier fait divers m’ayant beaucoup intriguée au point que je me dois de décrire un jour les éléments de mon enquête, doutant que les autorités d’alors aient fait grand cas de cette affaire, même si le registre mentionne qu’elles ont été saisies comme le voulait la loi (sous l’ancien régime ici en l’occurrence).

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Le plus ancien porteur du patronyme, à la souche de l’un des arbres, avait tout de même vécu l’âge honorable de 90 ans (sachant qu’à partir de 60 ans, en général, l’âge était arrondi) au 17ème siècle. Pas mal!

En même temps, je trouvais ces données terriblement rassurantes et structurantes, pouvant visualiser ensemble les lieux visités dans mon enfance et ces données historiques, et j’ai compris ce que les Mormons peuvent rechercher dans leur exploration maniaque de toutes les sources généalogiques.

Paradoxalement, cette quasi-preuve de la cohérence et de la banalité de mes racines (toute ma famille venant de la même région avec le même profil socio-culturel: sans surprise) ne me donnent pas plus de sentiment d’identité nationale, ce fameux terme à la mode, ou même régionale, puisque cette dernière a tendance à remporter plus de faveur chez les Bretons en général (à part un cas particulier parmi les candidats présidentiables…). J’ai juste les pieds encore un peu plantés dans un coin de terre de là-bas, et mes gènes de rhumatismes-hypertension pas forcément améliorés par la très probable consanguinité de ces paysans. Au moins, j’aurai rompu cette dernière avec les mélanges alsaciens, suisses, auvergnats, franciliens et gascons que j’ai vu traîner dans la généalogie de Mari Charmant! 

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Papyrus #3 – L’appel de la montagne

Il était une fois un petit garçon plein de vie, qui parcourait tout enthousiaste, par tous les vents et dans toutes les boues, les chemins creux et défoncés d’un bocage isolé pour aller chercher le Savoir à l’école du village, car le Savoir des siens ne lui suffisait pas.

Car c’était alors, en effet, le temps des grands Progrès : des allocations familiales aux tracteurs, de l’électricité à l’eau courante, de la pénicilline aux vaccins, que d’inventions magnifiques! Et au cœur de tout cela, l’école, qui éradiquait alors indifféremment les poux et les ploucs. En effet, les poux étaient devenus très simples à éliminer à grand renfort de DTT, cette autre merveille de la science chimique ; pour les ploucs, par contre, c’était toujours un peu laborieux, car il fallait tout d’abord enterrer leur langage terreux, mal approprié pour véhiculer les nouveaux savoirs. Mais à défaut d’être d’une efficacité absolue, les progrès en la matière s’avérèrent tout de même statistiquement significatifs dès lors que, l’électrification des campagnes aidant, la radio puis la télévision gagnèrent enfin ces audiences reculées.

Est-ce donc à l’école, ou par la radio, que le petit garçon découvrit les montagnes de légende? Selon ses souvenirs, l’école l’emmena voir la mer, à l’âge de sept ou huit ans, mais cela représentait encore l’excursion de toute une journée ; la montagne, à des centaines de kilomètres, était clairement hors de portée… Plus probablement, la montagne dut s’imposer à ses rêves de gamin comme à des milliers d’autres dans toute la Bretagne, à travers ses ambassadeurs les plus mythiques d’alors. Car, dans les années 50, les campagnes retardées et socialement défavorisées du Centre-Bretagne avaient leur Zinedine Zidane, comme plus tard les banlieues nord de Marseille au tournant du millénaire. Elles en eurent même deux dans cette décade : Robic, puis Bobet, coureurs cyclistes bretons de légende, s’il en est.Hsvelocopie

Ainsi ces lointaines montagnes, inaccessibles et pourtant synonymes de tant d’exploits héroïques, devinrent pour le petit garçon un rêve, un projet, l’étape obligée de sa propre ascension. Car le chemin était long depuis l’école du village pour se construire enfin une vie différente des siens, même si les bourses venaient compléter les allocations familiales pour aider les gamins des champs les plus doués à accéder aux nouveaux Savoirs nécessaires à la nation, à l’industrie, au progrès. Il parcourut donc patiemment les longues étapes en peloton, d’internat en internat ; ce faisant, il gravit laborieusement les cols de plus en plus raides, certificat d’études, BEPC, baccalauréat, semant chaque fois plus d’équipiers… Puis vint l’étape clé, la plus difficile : le contre-la-montre des Concours aux Grandes Ecoles.

Et il escalada tout cela sans pause, travaillant dur aux champs pour aider le père tout l’été, travaillant dur à la ville soir et week-ends pour payer sa chambre d’étudiant tout le restant de l’année.  Certainement il était fatigué… le classement le déçut ; il ne serait pas le premier polytechnicien de son village. Ni même centralien. Ingénieur chimiste peut-être ; mais il fallait descendre à Marseille ; et de toute façon, il n’aimait pas la chimie. Or le tour de France est sans pitié pour les retardataires d’un jour : éliminés ; pour lui, plus de bourse. Il lui fallait donc redescendre dans les collines, celles de l’université, ce qu’il fit finalement de bon cœur, car le rythme y était plus tranquille, et à condition qu’il s’engageât d’avance à travailler à la transmission de ses Savoirs pour l’état dès son diplôme en poche, une bourse confortable lui fut de nouveau allouée.

Ainsi il se traça désormais une vie tranquille, dans le confort et loin des champs à part quelques escapades de pêche à la ligne. Cette vie fut bientôt égayée par l’amour d’une compagne et de quelques enfants vifs, et restait rythmée toujours par les rentrées scolaires et les examens, mais du bon côté à présent.

Cependant, il restait tout de même à ce petit garçon devenu grand un rêve personnel à réaliser : voir ces montagnes qu’il avait tant imaginées gravir, pendant toutes ces années, et qui continuaient de le fasciner sur le petit écran désormais coloré. Il lui fallut encore quelques années pour mettre l’argent de côté et disposer d’une voiture assez fiable pour traverser la France, quelques mois pour finaliser le projet – choix de la région, se loger -, puis encore une de ces immenses journées d’été pour y arriver enfin : Jura, 900m d’altitude, presque trois fois plus haut que la plus haute lande des Monts d’Arrée !

Un mois ne suffit pas pour rassasier sa soif de montagne, et il y retourna souvent ensuite. Mais ce mois lui suffit à emmener la petite Kerleane s’étonner devant les curieux plissements calcaires des falaises du Doubs, découvrir la mythique Chamonix et sa mer de glace, se baigner dans les lacs de Neuchâtel et du Léman, voir décoller les deltaplanes, et surtout, au bout d’un chemin étroit et défoncé, pique-niquer un soir dans une vallée perdue des Diablerets, parsemée de chalets d’un bois hors d’âge, et troublée seulement du tintement des cloches des vaches.

J’ai encore en moi le bonheur familial de ce magnifique soir d’été… l’appel de la montagne a pris le relais. Et peut-être l’ai-je transmis à mon tour: ci-dessous, été 2005, Lili à son tour pose fièrement près de son premier sommet!

Pour ce parcours… bravo Papa.

Pour ce partage… merci Papa. 

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Papyrus: “Fille du Poher”

Voici la nouvelle dont l’écriture a tout chamboulé dans ma tête cet été comme je l’ai expliqué dans une de mes premières notes. J’ai reçu la lettre du concours aujourd’hui: elle n’a pas été retenue, ce qui me permet de la publier librement ici (enrichie d’images et hyperliens: vive le multimédia!).

Qui sait, peut-être ce papyrus trouvera-t-il quelque écho chez un lecteur de passage… vos commentaires sont bienvenus.

Note: Les portraits illustrant ce récit sont des miniatures tirés de l’oeuvre magnifique de Sandrine Gestin, une jeune artiste d’origine bretonne que j’ai découverte sur la toile. Si vous cherchez des idées de cadeaux, elle a une boutique pleine de merveilles ici.

Fille du Poher

Elle était née dans un village du massif armoricain, si érodé que le granite affleurait dans la plupart des champs. C’est pourquoi la terre y était pauvre ; mais les hivers étaient doux, l’eau ne manquait jamais, et cette contrée à l’écart des cités de pierre où s’épanouit l’ambition des hommes n’était que rarement atteinte des guerres et épidémies que drainent leurs grands chemins.

Ainsi elle se savait fille, petite-fille et arrière-petite-fille de femmes dont les traits rappelaient les siens, et dont la vie s’était écoulée semblable à la sienne entre les mêmes collines et forêts depuis un temps incertain, au-delà de la mémoire transmise par les Anciens.

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De même elle se savait née de ses père et grands-pères, hommes robustes et taciturnes qui répétaient simplement le travail de cette terre ingrate sans lever les yeux vers d’autres horizons. Certes, de temps en temps, un fils ou un frère était parti, n’ayant plus de sillons à partager au sein d’une trop grande fratrie, ou malheureusement torturé par les démons de l’aventure comme parfois les jeunes garçons. Mais aucun n’était revenu : d’après les Anciens, le monde des morts commençait au-delà de la forêt ; leurs récits, inquiétants comme l’agonie de la lumière dans les gris après-midi de novembre, mettaient en scène un monde fantasmagorique mêlant les morts aux vivants et le sacré aux réalités naturelles plutôt que les exploits des héros chantés ailleurs, sans que cela n’étonne personne dans cette contrée de Bretagne encore ignorante de la culture, du savoir des savants, et même de l’histoire.

On rencontrait déjà bien assez la mort en travaillant, en enfantant et en vieillissant pour ne pas aller la chercher de son propre gré. Car c’était par les accidents, et les maladies, que le monde des morts se manifestait le plus souvent pour le plus grand malheur des vivants, que ce soit sur les animaux, les cultures, la forêt, ou pis encore, les gens. Certains de ces évènements étaient d’une nature particulièrement spectaculaire et traumatisante, comme les incendies ; et plus rapide, plus bruyante, plus brûlante encore que la plus forte des flammes, car venue directement du ciel : la foudre. Les autres éléments n’étaient pas en reste : l’eau, particulièrement vicieuse dans son habileté à reprendre aux mères leurs tout-petits marchant à peine dans les innombrables flaques, ruisseaux, puits et fontaines de ce pays humide; les cailloux, les rochers, et plus encore le métal extrait de ces derniers, par des blessures parfois mortelles lorsque les plus fougueux s’excitaient les uns contre les autres, poussés par les mauvais esprits ; et même l’air, qui se chargeait de pestilences autour des malades, hommes ou bêtes, pour en contaminer d’autres. Et cet air se déchaînait souvent, se mêlant à la pluie vicieuse pour rouiller les os tout l’hiver et même au-delà, dans ce pays sans franches saisons, soumis à la ribambelle des tempêtes atlantiques.

Fayard

Contre les peurs des Anciens, l’ambition des êtres les plus doués de ce peuple simple était donc non pas l’exploration des frontières du monde physique, mais, plus abstraite, la maîtrise du sacré, à travers les rites qui aidaient les vivants au détriment des morts. Cependant le passage entre ces mondes était une frontière perpétuellement mouvante, et la distinction entre le Bien et le Mal qui en définissait les équilibres subtils nécessitait la plus grande perspicacité. On en parlait peu ; certains rites se perpétraient transmis entre quelques élus, alors que d’autres se pratiquaient simplement en famille, les mères veillant scrupuleusement à leur respect : le culte des multiples saints et saintes aux vertus protectrices se mêlait ainsi intimement aux rites du christianisme primitif importé d’Irlande plus d’un millénaire auparavant.

http://www.sandrinegestin.com Dans ce monde elle avait grandi, enfant curieuse d’apprendre tant des récits intrigants des Anciens que des gestes assurés de ses parents. Ainsi sans cesser d’exécuter soigneusement sa part croissante des travaux quotidiens, elle observait les plantes et les animaux le jour, la lune et les étoiles la nuit. Car elle vivait plus ardemment que ses pairs, l’esprit sans cesse en éveil agité par des questions sans réponse dans sa langue rocailleuse, mais animée avant tout par la volonté de bien faire, de mieux faire, pour elle et pour les siens. En effet, dans les récits des Anciens, les hommes et les femmes qui l’avaient précédée, ambitieux comme elle d’action, de reconnaissance et de découverte, avaient mis leurs dons au service des leurs : Décider, Soigner, Savoir, Créer.

Mais le temps des Anciens n’était plus. Alors qu’elle grandissait, cette contrée oubliée fit l’objet d’évènements extraordinaires qui devaient marquer pour longtemps le destin de ses habitants. Tout commença par la visite d’un étrange missionnaire, un homme venu d’ailleurs, bien au-delà des collines et des forêts, mais qui avait appris leur langue rocailleuse pour mieux parler aux gens. Et il amenait avec lui des nouveautés propres à exciter la curiosité des enfants autant que des parents : des images aux scènes richement illustrées, des processions théatrales dont les plus fervents obtenaient de jouer les meilleurs rôles, et des cantiques, chansons construites sur des mélodies si populaires que tous les fredonnaient. Il emballa rapidement les foules, au point qu’on fut bientôt plus de mille à vouloir participer aux processions lors de ses visites, et comme c’était un homme juste et bon, il entra dans la mémoire des Anciens comme «an Tad Mad » : le bon père.

Pour elle, ce fut une révélation : alors que les Anciens n’usaient que de la parole la plus simple pour transmettre leurs savoirs, ces illustrations, ces processions, ces chansons frappaient tellement plus les sens ; et surtout, les visiteurs savaient les réponses aux questions insatiables des enfants les plus curieux ; ils leur parlaient du monde au-delà des forêts et des collines, de la Terre qui est ronde comme les astres du ciel, des territoires vierges au-delà de l’océan à l’Ouest, des quatre horizons ondoyant sous les blés dans les grandes plaines à l’Est, des montagnes si hautes que les nuages s’éventraient sur leurs neiges éternelles, ruisselant de cascades, sur les routes de Rome et de Saint-Jacques; et des constructions des hommes, cités magnifiques aux immenses cathédrales… voilà donc pourquoi les fils et les frères partis vers ces merveilles n’étaient pas revenus.

Mais surtout, les visiteurs portaient des livres, où ils savaient graver la parole qu’on leur confiait. Avec quel ravissement vit-elle son nom inscrit en belles lettres courbes comme les symboles dessinés par les constellations d’étoiles de ses rêveries nocturnes… tout juste fut-elle déçue de le voir si petit, tel de fines pattes de mouches qu’elle ne savait reproduire. Car ces lettres dansaient devant ses yeux sans signification, et brouillées par ses larmes de frustration devant ce savoir à jamais inaccessible : après ces jours de fête, elle reviendrait à ses tâches quotidiennes, condamnée à l’ignorance. Tout au plus, comme elle avait accouché peu de temps auparavant d’un magnifique garçon auquel on donna le rôle du divin enfant, son unique heure de gloire devait-elle rester sa prestation dans le rôle de Marie, dans la plus belle des processions menées par cette nouvelle ferveur.

Elle ne pouvait se résigner à la pérennité de ce destin injuste.

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Ainsi, dès lors, elle ne cessa d’encourager les siens vers un progrès dont elle imaginait les lumières et les bienfaits comme ceux du plus brillant des astres, référence naïve à ce lointain roi Soleil dont les fastes et les guerres nécessitaient toujours plus de taxes jusque dans ses collines et forêts reculées. Hélas, cet idéal l’engagea sur un long chemin douloureux, car dans son impatience elle négligea de bien mesurer les subtiles frontières entre le Bien et le Mal, le Juste et l’Erreur, malgré les avertissements de ceux qui savaient, Anciens et Nouveaux. Ainsi celui-là même de ses enfants qui faisait sa gloire et son plus grand espoir, ce fils magnifique et adoré, si brillant et plein d’énergie comme elle l’avait toujours été, passa trop vite, et fort vainement, au monde des morts. Pendu à un arbre à tout juste seize ans avant la moisson de 1675: les Bonnets Rouges avaient tenté la révolution un bon siècle trop tôt, en cette contrée de Bretagne, toujours ignorante de la culture et du savoir des savants… mais brutalement confrontée à l’histoire.

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Sa modeste histoire, elle, aurait dû s’arrêter là, comme tant d’autres. Mais elle puis ses filles continuèrent de vivre plus ardemment que leurs pairs, l’esprit sans cesse en éveil agité par des questions sans réponse, et animées avant tout par la volonté de bien faire, de mieux faire, pour elles et pour les leurs. Ainsi son histoire continue dans celles dont les traits rappellent les siens, et qui ont hérité ses rêves – rêves qu’à force de patience et de sagesse, leur temps enfin venu, elles ont réalisés, par-delà les collines et les forêts, et jusque dans les livres, puisque ce récit lui est dédié.

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Larme de fond

Curieuse expérience ce matin dans un (nécessaire!) exercice de rangement de ma cédéthèque. J’extrais de la pile un échantillon récupéré dans un de ces magazines touristiques acheté au détour d’un quelconque été histoire de prolonger un peu les paysages au retour. Cela s’appelle "Entrez dans la danse bretonne": gavotte, an dro, laridé, ronde, jabadao, dérobée… je ne me souviens même pas l’avoir écouté. Je le mets dans le lecteur…

… il m’a eu par surprise! les premiers mots d’introduction en breton m’ont interloquée. Il me semblait qu’ils étaient proclamés avec l’accent français (comme les radios bretonnantes il me semble!). Mais je n’y comprends rien, de toute façon. Puis les notes de Tri Martolod (celles reprises par Manau en 1998 dans leur tube "La tribu de Dana") et voilà que je commence à chalouper. Je zappe… bombardes, binious… et voilà l’émotion qui monte, qui monte, je m’enfuis me faire un thé pour retrouver ma contenance… mais trop tard, ces sons de chez moi m’ont tapé dans le fin fond du cerveau ou du coeur ou je ne sais trop où, et elle arrive, la larme, venue tout droit de ce fond de moi.

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… une image, mon grand-père, assis sur le banc de pierre devant son pavillon construit pour sa retraite, épluchant les patates du champ de derrière la maison à la récolte desquelles je participais tous les étés (et que je mangeais toute l’année… aujourd’hui, j’en suis encore saturée, si j’achète plus de 2kilos de ces tubercules par mois, c’est exceptionnel…) en écoutant Radio Bretagne Ouest

Il jouait de la bombarde dans les bals de sa jeunesse… Mais trop essouflé par le tabac quand je l’ai connu, il ne m’en a donné qu’une démonstration dont je me souvienne, le jour où j’ai moi-même fièrement exécuté une danse plinn apprise à la flûte à l’école. Avec le recul, je me demande si ce n’était pas aussi par pudeur ou honte de cet "instrument de plouc" qu’il ne le sortait plus? si on remettait les danses plinn au goût du jour dans l’école de la République, c’est que les temps avaient de nouveau changé, ben oui, le folk des années 70 était passé par là, en tout cas par ma prof de musique…

Je ne saurais même pas définir l’émotion qui m’envahit quand j’écoute ces musiques de chez moi. Ce n’est pas de la tristesse, ni de la joie, c’est indéfinissable. Je dirais que c’est juste beau, vivant en moi… je n’ai pas de mots; juste une larme.

Une larme de fond.

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Petite-fille de ploucs

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Avertissement: si vous n’avez pas d’ancêtre breton, et/ou que vous rêvez d’aller courir dans les landes embrumées ou sur les rochers battus par l’écume, que Bretagne rime pour vous avec ses légendes mêlant vivants et morts, marins et fantômes, vieux grééments et chapelles dans le vent, binious et kan-ha-diskan, crêpes, chouchens et langoustines: passez votre chemin, ou à la rigueur, allez directement sur ma note "Kerleane" pour une version quelque peu plus idéalisée de mes racines centre-armoricaines.

Vous voilà avertis!la lecture de "Fils de ploucs" donne un éclairage inhabituel, mais tellement réaliste, sur l’évolution de ces bretons qui sont passés brutalement d’une enfance partiellement occupée par la garde des vaches entre cailloux et talus au statut nettement plus confortable des classes moyennes et supérieures – merci l’école…

Rien d’original: dans les années 70, Per Jakez Hélias a publié "Le cheval d’orgueil" sur le même sujet. Mais, comme l’explique fort bien Jean Rohou, il a un peu enjolivé… ou alors, le pays bigouden dans les années 20 était décidément une contrée nettement plus extraordinaire, par la richesse de ses traditions et l’exceptionnel caractère de ses habitants, que le Léon des années 40 raconté par Jean Rohou… ou le Poher des années 50 qui n’avait pas encore tant évolué quand je l’ai connu moi-même dans les années 70!

Il ne faut pas oublier que pendant longtemps, les bretons étaient les "immigrés" parmi les plus méprisés dans les faubourgs parisiens, ce qui donna naissance à des termes comme "ploucs" (originaires d’un de ces villages Plou-quelque-chose-d’imprononçable!) ou "baragouiner" (des mots bretons "pain" et "vin").

Quand ils rentraient au pays, quelle frime… car derrière tout cela, une société humaine pas différente des autres… On peut l’idéaliser, c’est le propre des antiquités; mais comme dans toute société de ce type, il y avait des enfants qui rêvaient de la quitter – l’école les y a aidés, même si pour cela, ils ont dû renier leur langue maternelle pour les nouveaux savoirs que véhiculait l’enseignement du français. Au bout du chemin, le progrès, et une vie meilleure. Si si: Rohou le dit, mon père aussi, ils sont assez vieux pour être sages; et croyez-moi, petite-fille de ploucs de fait, je n’ai aucune envie de retourner traire les vaches deux fois par jour, même si je vis entourée de pâturages et leurs sons de cloches aujourd’hui: c’est çà le progrès, on garde seulement le meilleur

Bref, impossible de résumer en une note ce précieux documentaire de plus de 700 pages (et ce n’est que le tome 1!). Il fourmille d’anecdotes et on y apprend aussi beaucoup, en particulier sur quelques réalités historiques, sociales ou culturelles que la mode du folklore celte a quelque-peu améliorées dans l’imaginaire populaire… mais faut pas trop le dire, car cela fait tourner le tourisme, qui reste quand même, avec les cochons, une des plus grandes sources de revenus de ces régions!

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Kerleane

Kerleane, bien sûr, cela sonne breton, comme moi, on ne se renie pas… Toutefois je n’ai jamais trouvé ce mot sur le web; c’est Kerlean que l’on trouve, nom de famille à particule, ou nom de lieu.

Cependant, Kerlean, c’est aussi une chapelle dédiée à Notre Dame du même nom. J’y ai accompagné ma grand-mère qui l’affectionnait particulièrement, une fois, à l’adolescence, et cette visite a curieusement suffisamment marqué ma mémoire pour que je retrouve sans peine le lieu-dit du même nom, au moins vingt ans plus tard, sur la carte IGN, juste en suivant la route "vers le Sud" sur la carte selon mon souvenir. Alors même que ce nom ressurgissait dans ma mémoire l’an passé, et sans que nous en ayons jamais reparlé, ma mère glissa une photo de N.D. de Kerlean dans les affaires de ma fille. Kerlean, étymologiquement, cela veut dire "Maison des Moines". A noter que cela se prononce comme en anglais: Kerline.

Comme j’ai beaucoup d’imagination, de ces faits bruts qui ne se commentent pas, j’ai peu à peu construit un mythe personnel autour de ce nom, de ce lieu, de cette tradition de grand-mère à petite-fille (la grand-mère a un rôle magnifique en Bretagne – cf le culte de Sainte-Anne), au point d’inventer ce surnom, un peu magique, un peu féérique, et qui puise dans mes racines les plus profondes pour me nourrir de la certitude de l’amour de ces femmes qui m’ont précédées et que je magnifie dans mon imaginaire.

Kerleane, c’est donc la mère que je rêve d’être pour mes filles (je me rends compte que si je mettais tout cela au masculin, çà sonnerait terriblement macho et patriarcal, mais malheureusement, je n’ai pas de fils pour rééquilibrer tout cela!).

Kerleane, c’est aussi un peu un rêve, celui de dépasser un peu mon quotidien banal. J’ai beaucoup reçu; que puis-je donner? Décider, Soigner, Savoir, Créer? les papyrus, c’est un élément du puzzle que je mets en place à présent: Créer.