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L’ombre de l’ancêtre

Il y a deux ans, j’avais partagé ici mon soulagement de voir l’ancêtre de mon jardin protégé de facto de l’abattage par les règlements de protection de la nature.

En fait, ces règlements semblent franchement libres à interprétation. Si l’arbre a le moindre défaut, il est abattu sans histoire. Ainsi a fini le dernier bosquet d’épicéas de la parcelle voisine, qui ne gênait pas la construction du nouveau chalet, mais qui était plein de vermine (sic). Nous avons passé une nuit de cet hiver dans la fumée des restes non récupérables de ces immenses arbres, qui se sont consumés pendant plus de 24 heures. Reste l’ancêtre de notre jardin, maintenant le plus vieux et le plus imposant du quartier. Avec sa double tête foudroyée ou envolée dans un passé inconnu, il est moche vu de loin, mais vu de nos fenêtres en contrebas, depuis que nous l’avons allégé de ses vieilles branches basses dessèchées, il a l’imposant ovale d’un chêne centenaire. Le regarder par la fenêtre de la cuisine me repose…

Mais s’il semblait évident il y a 2 ans que cet arbre allait rester, il est revenu d’actualité de le couper, peut-être, petites allusions des futurs voisins, très sympathiques par ailleurs… jusqu’à une question plus franche, et une réponse aussi: pour l’instant, on n’a pas envie de le couper. Lili en fera un drame, elle le considère comme "son" arbre. Et moi j’aime aller méditer à ses pieds les soirs d’été. Heureusement, le message est bien passé, au point que les voisins l’ont eux-mêmes sauvé pendant nos vacances cet été – le bûcheron croyait qu’il était encore à abattre, et il a fallu l’appeler pour le convaincre qu’il était chez nous et pas sur le terrain agricole-piste de ski; comme nous laissons le haut de notre parcelle aux vaches pour éviter de faucher nous-mêmes, la confusion la plus totale régnait…

Maintenant, songeant que c’est ce week-end l’équinoxe, je suis allée sur le chantier cet après-midi pour me faire une idée de l’ensoleillement des 6 mois d’automne-hiver. Et là, j’ai compris. Les immenses porte-fenêtres coulissantes sud et ouest du chalet Minergie de mes futurs voisins sont à l’ombre de l’ancêtre tout l’après-midi, et le seront donc au moins jusqu’à fin mars. La terrasse attenante aussi.

Je connais bien le problème, puisque nous sommes aussi à l’ombre de plusieurs groupes d’épicéas l’après-midi. Mais quand j’ai dessiné les plans de la maison, j’en ai tenu compte, en l’ouvrant sur l’Est plutôt que l’Ouest. Cela chauffe à merveille en passif notre chalet les matins frais, et nous motive à sortir les après-midis ensoleillés, mais j’envie la terrasse ensoleillée de mes voisins du dessous, chez qui les filles vont souvent bronzer au goûter, alors que dans notre jardin il faut déjà mettre une petite laine à 15h…

Là, je me suis dit que l’architecte a dû faire l’hypothèse que cet arbre serait abattu, pour maximiser le rendement énergétique du chalet. Alors, dilemme écologique: abattre cet arbre et ils pourront chauffer moins, ou garder cet arbre et ils devront chauffer plus?

Bien sûr, je vais laisser mes voisins s’installer, il faut faire au moins le tour d’une année pour bien réaliser l’évolution du soleil au long de la saison, ils sauront bien nous expliciter le problème eux-mêmes… mais je sens cet arbre condamné à moyen ou long terme…

Pour me consoler, je me suis mise à rêver d’aménager le haut de notre parcelle en jardin zen… mais comment reproduire la masse tranquille d’un arbre multi-centenaire? ce n’est pas l’assemblage de 3 gros cailloux ronds qui vont remplacer la douceur de ses épaisses branches moussues au toucher.

La suite dans 2 ans, j’imagine…