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Trois soeurs – Marie-Jeanne

Marie-Jeanne avait trois filles.

A l’aînée, il manquait la beauté.

A la benjamine, il manquait la santé.

La cadette avait tout hérité.

Et Marie-Jeanne observait ses trois filles, ses petites devenues femmes, soupirant en son fort intérieur:

A Louise, il manque le rêve.

A Elisabeth, il manque la force.

A Anne, il manque la sérénité.

Qu’avait-elle donc oublié quand elle les avait enfantées, puis élevées, puis accompagnées?

Mais il était trop tard à présent; son temps à elle n’était plus de ce monde. Son âme s’affaiblissait, l’éloignant chaque jour un peu plus des soucis des vivants. Mais plus elle s’envolait, plus la ribambelle de ses pensées inquiètes tournoyaient dans son esprit fatigué, enfermées dans ce crâne devenu si exigü que même les mots n’arrivaient plus à en sortir. Son regard seul s’affolait par moments du désespoir de ne pas savoir partager les images de l’autre côté, paniquant Louise et faisant pleurer Anne. Elisabeth seule restait sereine, car elle avait suffisamment balancé entre les deux mondes pour ne plus en avoir peur.

Marie-Jeanne rompit finalement les amarres une nuit de grand vent, laissant derrière elle la rustique empreinte d’une vie besogneuse et pleine de poésie pourtant, au travers des deux guerres et des étranges mutations de ce siècle encore inachevé.

Marie-Jeanne n’avait jamais voyagé plus loin que le grand champ de foire; c’est pourquoi ce dernier grand voyage était d’autant plus étourdissant pour elle. Comme elle avait la foi robuste aux croyances de son temps et de son lieu d’ancrage, c’est Saint-Pierre qui l’accueillit à la porte de son paradis.

– Bienvenue Marie-Jeanne. Tu nous arrives bien légère déjà, mais je vois qu’il te reste un dernier fardeau à déposer avant de te reposer enfin. Quel est donc ce souci que tu ne peux oublier?

– Ah, mon bon père, ce sont mes filles. Elles sont bien braves toutes les trois, mais elles me donnent du tracas. L’aînée abat du travail comme dix, le monde s’arrêterait de tourner qu’elle essaierait de le relancer encore, mais elle en oublie de s’arrêter regarder la beauté autour d’elle; elle est comme ces machines qui viennent dans les champs et dans les fermes à présent; de bonnes mécaniques bien utiles ma foi, mais il leur manque comme un peu d’âme. La benjamine, c’est le contraire; elle a bien failli passer ici avant moi, et plus d’une fois; la beauté du monde est sa compagne de tous les jours, qu’elle soit poème ou aquarelle; mais elle est trop légère pour l’univers des vivants, qu’elle effleure à peine. La cadette enfin a tracé son chemin comme moi, de façon plus classique; elle est belle et elle est forte; elle a travaillé et elle a aimé, elle a enfanté et elle a guidé, elle a rêvé et elle a réalisé; mais elle doute toujours, et n’est jamais satisfaite de son sort; sans ses soeurs pour lui occuper les mains et l’esprit, elle pleurerait tout le temps.

Saint-Pierre sourit.

– Je vous ai entendue, et je sais comment vous soulager de ce souci, Marie-Jeanne. Regardez…

Il y avait là en effet derrière Saint-Pierre un immense univers, rempli des lumières de la Connaissance, sous toutes formes des plus simples aux plus complexes telles que les esprits des hommes et des femmes de tous les temps les avaient façonnées au gré de leurs découvertes et de leur imagination. Il y avait les symbôles et les rituels, les chansons et les tableaux, les brevets et les romans…

Et là devant Marie-Jeanne, soudain les formes d’une femme inconnue, plus vieille et burinée encore, avec d’épais cheveux gris retenus par une longue tresse, d’étranges habits aux couleurs chaudes et des bijoux de bois, de pierres, de cuir et de plumes.

La femme lui sourit, et lui parla dans une langue aux sonorités inconnues et pourtant limpide:

– J’ai ici une légende qui attend votre visite…

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D’un livre à l’autre

Enfin plongée dans "La prophétie des Andes", j’ai continué d’y avancer. Je le lis par petits bouts d’abord parce que c’est un mauvais roman – complètement décousu, une sorte de série B du livre avec un patchwork de personnages et de lieux sans travail descriptif sérieux ni construction soigneuse de la trame du récit, genre ce qu’on apprend au collège au cours de français: rien d’étonnant à ce que le manuscrit ait été refusé par tous les éditeurs au départ… Ensuite parce que je le lis en anglais, ce qui n’est pas trop difficile car c’est de l’américain sans sophistication descriptive, très accessible pour moi, mais cela ralentit tout de même mon assimilation. Enfin, parce que ce livre ayant visiblement plus d’intérêt comme outil de développement personnel que comme lecture de chevet, je prends mon temps pour réfléchir aux thèmes qui y sont abordés.

J’ai déjà publié les réflexions que la première prophétie, sur l’importance d’être attentif aux coincidences, m’inspiraient.

Sur la deuxiéme, qui met en perspective l’évolution historique de la civilisation occidentale jusqu’à notre monde à l’entrée du 3ème millénaire, ma réflexion est restée bloquée trois bonnes semaines. J’ai relu le chapitre, en vain, trouvant le sujet juste effleuré, et mal amené en plus, avec cette rencontre dans l’avion qui finit sans mot de la fin dans une stupide course poursuite à Lima… Comment approfondir ce sujet-là?

StauneMais supposons, pour le piment de mon propre récit ;-), que les coincidences aient fait leur travail… ainsi m’est venue cette obsession du non-sens de l’histoire des petites Sarah du Vél’D’Hiv, entrelacée de dimanche à mardi dans mon quotidien baladeur. Mardi soir, cette obsession m’a conduite au rayon livre du coin presse-librairie de l’aéroport, espérant pouvoir feuilleter le fameux bouquin "pléblicité" par Psycho mag. Mais je ne l’ai pas trouvé, et à la place, c’est ce pavé qui a fini dans mes mains:

"Notre existence a-t-elle un sens? Une enquête scientifique et philosophique"

De Jean Staune, Préface de Trinh Xuan Thuan.

Ce cher TXT, dont "la Mélodie secrète" avait profondément chamboulé mes convictions religieuses d’antan, quelque-part autour de l’été de mes 20 ans… Il m’avait été recommandé par une étudiante en astrophysique avec qui j’avais fait un bout de chemin entre le Poitiers médiéval et la Bretagne maritime cet été-là. Une référence.

J’ai donc feuilleté ce livre et il m’est apparu évidemment que c’était exactement le livre dont j’avais besoin pour aller plus loin dans mon questionnement existentiel.

Je ne l’ai ouvert qu’une fois assise dans l’avion, et malgré l’heure tardive, malgré la journée remplie de réunions, malgré le classement de 150 mails que je venais de réaliser entre-temps – mon petit marathon habituel à l’aérogare -, j’en ai lu près de 50 pages avant l’atterrissage une petite heure après. Mieux: ma bonne humeur montait au fil des pages!

J’ai continué d’en déguster une petite part aujourd’hui. Car il s’agit là encore, comme pour la plupart de mes lectures fondamentales, de dégustation plus que de gloutonnerie; je relis parfois 3 fois certains paragraphes pour bien les assimiler, car l’auteur a un esprit de synthèse apparemment très développé, et chaque phrase me paraît expliquer clairement ce qui me prendrait personnellement 3 pages à décrire (et de travers, en plus! lol).

J’ai fait quelques recherches sur l’auteur aussi, qui sont sorties tellement contrastées, manichéennes presque, que je me sens obligée de me forger ma propre opinion…

Et pour commencer, ce que j’en ai déjà lu m’a justement apporté la vue plus approfondie que je cherchais sur le sens de l’histoire, mais ce sera l’objet de ma prochaine note – décidément, synthétiser une synthèse n’est pas franchement un exercice dans lequel j’excelle…

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Trois soeurs – La légende

"Il était une fois, il y a de cela très longtemps, trois sœurs qui vivaient ensemble dans un champ. Ces trois sœurs étaient très différentes les unes des autres par leur taille et leur façon de se vêtir. Une des trois était petite, si jeune en fait qu’elle ne pouvait que ramper à la naissance, et elle était vêtue de vert. La deuxième portait une robe d’un jaune brillant et elle avait une façon bien à elle de se sauver toute seule lorsque le soleil brillait et que la brise lui caressait le visage. La troisième, l’aînée, se tenait toujours très droit et, étant très grande, essayait de protéger ses deux sœurs. Elle portait un châle vert pâle et sa longue chevelure blonde battait au vent.

De fait, les trois sœurs ne se ressemblaient que sur un point: elles s’aimaient beaucoup et ne se séparaient jamais. Elles étaient convaincues qu’elles ne pourraient supporter la séparation.

Un jour, un étranger apparut dans le champ des trois sœurs. C’était un petit Indien droit comme une flèche et brave comme l’aigle qui tournoyait haut dans le ciel. Il savait parler aux oiseaux et aux petits frères de la terre: la musaraigne, le tamia et les renardeaux. Et les sœurs, celle qui ne savait que ramper et celle aux longs cheveux, étaient bien intriguées par le petit Indien. Elles le voyaient porter une flèche à son arc, sculpter un bol avec son couteau en pierre, et se demandaient bien où il pouvait aller le soir.

Tard cet été-là, une des trois sœurs disparut. C’était la cadette en vert, celle qui ne savait que ramper. Elle pouvait à peine se lever dans le champ sauf lorsqu’elle trouvait un bâton sur lequel s’appuyer. Ses sœurs la pleurèrent jusqu’à l’automne, mais elle ne revint pas. Une fois de plus, le petit Indien revint visiter le champ des trois sœurs. Il vint ramasser des roseaux près d’un ruisseau voisin pour fabriquer des flèches. Les deux sœurs qui restaient le surveillèrent et regardèrent avec émerveillement l’empreinte de ses mocassins sur le sol où il était passé.

Ce soir-là, la deuxième sœur, celle vêtue de jaune et qui voulait toujours se sauver, disparut. Elle ne laissa pas de trace, mais il est possible qu’elle ait mis les pieds dans la foulée du petit Indien. Il ne restait plus qu’une sœur. Elle demeurait grande et droite, sans jamais s’incliner de chagrin, mais il lui semblait qu’elle ne pouvait vivre seule en cet endroit. Les jours raccourcirent et les nuits s’allongèrent. Le châle vert perdit sa couleur. Il avait pris de l’âge et semblait tout usé. Le vent avait défait sa belle chevelure blonde de jadis. Jour et nuit elle espérait le retour de ses sœurs, mais en vain. Sa voix, lorsqu’elle les appelait, était triste et mélancolique comme le vent.

Puis un jour, lorsque fut arrivé le temps des récoltes, le petit Indien entendit la plainte de la troisième sœur qui avait été laissée toute seule dans le champ. Il en eut pitié, la prit dans ses bras et l’amena chez ses parents. Quelle surprise l’attendait! Ses deux sœurs se trouvaient en toute sécurité dans la cabane des parents et la joie de la revoir enfin était grande. Le petit Indien les avait tellement intriguées qu’elles l’avaient suivi pour voir où et comment il vivait. Elles avaient tellement aimé la chaleur de son abri qu’elles avaient décidé de passer l’hiver avec lui. Et elles faisaient leur possible pour lui venir en aide.

La petite sœur en vert, qui avait maintenant atteint sa pleine maturité, tenait les casseroles pleines de nourriture. Sa sœur en jaune se laissait sécher sur une étagère en prévision de repas futurs. La troisième sœur se joignit à elles, prête à broyer le grain pour le petit Indien. Jamais plus on ne les sépara.

Tous les enfants connaissent ces trois sœurs et en ont besoin tout autant que le petit Indien. En effet, la petite sœur en vert est le haricot, sa sœur en jaune est la courge, et l’aÎnée aux longs cheveux blonds et au châle vert est le maïs." (Légende Mohawk) Trois_soeurs_2

Les trois sœurs sont les trois principales cultures pratiquées traditionnellement par les Iroquois (ligue des 5 nations): la courge, le maïs et le haricot. En savoir plus…

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Toutes ces Sarah, et le reste

Dimanche après-midi, le grand soleil du matin nous a permis d’aller pique-niquer en montagne, et c’est tout emplie de la sérénité de cette balade en famille que je m’asseois un moment dans le jardin, à notre retour, avec le Psychologies magazine d’avril (je rattrape mon retard de lecture…).

Mon humeur commence à se gâter avec l’article sur "Second life", qui explique comment quelques millions de gens s’inventent une seconde vie… plus belle? certes: avec plus de sexe, d’argent, de pouvoir, de célébrité. Virtuels. C’est glauque…

Et derrière cet article, une pub. Pas une de ces pubs futiles sur une crème de nuit ou un complément alimentaire. Une pub pour le dernier livre de Tatiana de Rosnay, la petite-fille du figuier pour moi, puisque c’est sa note expliquant le titre "The Fig Tree" de son blog qui me l’avait fait découvrir à mes débuts dans la rue des psycho-blogs, où elle tient une grande vitrine.

Shoahjewish_family_2Ce livre est suffisamment médiatisé, déjà best-seller international et futur film, pour que je n’en rappelle pas l’histoire. Pour moi, assise dans mon quotidien merveilleux de quiétude et de verdure, peu importe le livre, ce qui me frappe en plein fouet, c’est juste le fond rouge de ces mots "Le 16 juillet 1942, Sarah, 10 ans, est raflée, comme quatre mille autres enfants."

4000 enfants au Vél’d’Hiv. 4115, ou 4051, les chiffres exacts varient un peu, mais 4000 en tout cas.

Et tout de suite, dans ma tête, la douloureuse tristesse de la chanson de Goldman, que je ne peux plus écouter sans pleurer depuis que je suis maman, "comme toi":

Elle s’appelait Sarah elle n’avait pas huit ans
Sa vie c’était douceur rêves et nuages blancs
Mais d’autres gens en avaient décidé autrement
Elle avait tes yeux clairs et elle avait ton âge
C’était une petite fille sans histoire et très sage
Mais elle n’est pas née comme toi ici et maintenant

J’ai reposé le magazine, je me suis mise pieds nus, je suis allée m’asseoir en tailleur sur l’herbe, sous le soleil, face à la montagne, et je me suis encore une fois demandé: pourquoi tant de drames là-bas, loin de moi dans le temps ou dans l’espace, mais malgré tout portés à ma connaissance, conceptualisés, traduits des mots (raflée!) et des nombres (4000!) en images (Sarah… la photo… mes filles), en émotions qui m’explosent soudain le fin fond de mon cerveau reptilien de maman mammifère… ainsi ma vie à moi est sans drame, mais ces drames existent ailleurs… pourquoi?

C’est quoi le sens de tout cela?

Et ce drame-là, ce morceau de génocide en marche en juillet 1942, m’a soudain obsédée comme tout ce que j’ai pu lire, voir, entendre, sur la shoah, depuis ma découverte de ces horreurs grâce à un documentaire de la bibliothèque de ma classe de CE2. Je revois encore l’étagère…

Alors, tard dimanche soir, j’ai vérifié les chiffres dans le Quid, et j’ai regardé mes filles dormir, me répétant qu’elles ne risquent rien, elles, ici et maintenant.

Lundi matin, déplacement à Genève pour une réunion dans le quartier des organisations internationales, je croise à deux reprises des groupes d’enfants, en rang de deux, mélange coloré, bruyant, joyeux, et l’horreur me revient dans les yeux. 4000… 200 groupes d’enfants comme ceux-ci? Des petits, des grands, des maigres, des gros, des timides, des hyperactifs, des filles et des garçons. Des mômes… Comme les vôtres. Comme les miens.

Lundi soir, aéroport. Un gamin qui hurle, et toute l’aérogare semble incommodée… Malaise. Peut-on seulement concevoir la même situation, puissance 4000?

Mardi matin, je marche encore, mais cette fois dans le 15ème arrondissement, sans savoir que le Vél d’Hiv n’est pas bien loin; il y a là une boulangerie qui sent si bon le pain français, une boucherie, un coiffeur, la poste… et une école maternelle, des parents qui y conduisent leurs petits, se saluent, échangent quelques mots. Tranches de vie. Le ciel est grand bleu. Mais moi je ne peux m’empêcher de projeter ce quotidien que j’observe un peu détachée là en 2007 dans le Paris d’il y a 65 ans.

Et finalement, j’arrive sur les boulevards près de la Seine, je regarde les grands immeubles qui arborent fièrement toutes sortes de logos de notre société d’abondance et de bonheur, Yves Rocher, HP, TF1… la beauté, la technologie, la communication.

Alors je vais bosser, voir mes collègues et mon client, discuter projets, problèmes et solutions, continuer, de mon mieux, ma petite tranche de vie à moi… après tout, Goldman chantait aussi:

Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie

Mais tout de même, je voulais venir dire ici que je n’ai toujours pas trouvé… le sens de tout cela.

   

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Belle du Seigneur et Proust (encore!)

Voilà déjà quelques semaines que mon début d’échange littéraire avec LadyR s’est arrêté sur la promesse d’une note concernant "Belle du Seigneur" d’Albert Cohen, cet autre vaccin anti-romantisme qui me préserva sans doute de bien des désillusions amoureuses par la suite.

Donc, ayant cette note sur le feu (ou plutôt, encore au frigo) et rien de plus urgent à mettre sous la dent des quelques lecteurs de ce blog, je me décide ce soir à m’y attaquer sérieusement. Sur un sujet de ce type, ma première démarche est toujours de chercher un peu de documentation pour enrichir ma propre réflexion, alors que je commence par googler ["belle du seigneur" site:.blogs.psychologies.com] au cas où dans le coin quelqu’un aurait déjà fait une note sur ce roman.

Effectivement, je trouve une note de Charlotte sur son blog "Le démon des mots", datant d’octobre, et surtout, le commentaire suivant:

"(…)Je mets aux côtés d’Albert Cohen cet autre immense écrivain qu’est Marcel Proust qui, comme Cohen a su montrer l’homme dans ce qu’il a d’universel : petitesse, jalousie, gout du pouvoir, vulgarité…"

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Faut vraiment que je le lise…

Au coeur de cet hiver, j’avais croisé une note de Carole sur le "forum-liberté" qu’elle animait alors (et qui a disparu depuis apparemment) sur le livre et le film "La prophétie des Andes", qu’elle n’avait pas trouvé intéressant, mais qui semblait être une référence connue de tous. Curieuse d’en savoir plus, j’avais cherché sur google plus d’informations, et découvert que ce roman était effectivement un best-seller et souvent utilisé à des fins de développement personnel, bien qu’il s’agisse d’un récit de pure fiction.

CelestineVoyant que certains lecteurs se plaignaient de la piètre qualité de l’écrit dans sa version française, je cherche alors à savoir si la version anglaise était plus intéressante, pour l’acheter en VO le cas échéant. Et là, surprise, le titre anglais "The celestine prophecy" me rappelle un livre trouvé l’an passé à la foire des bouquins d’occasion organisée chaque année dans mon village au profit des paysans de montagne, et stocké dans ma petite bibliothèque en réserve pour le jour incertain où je reprendrai vraiment le temps de lire des romans… je grimpe au galletas, et effectivement, en deux minutes chrono, je le retrouve, c’est bien lui!

Et je le mets de côté pour les vacances.

Et les vacances arrivent, mais j’ai croisé un essai et des magazines en route qui me détournent encore de cette lecture.

Vient enfin ma semaine de formation. A tout hasard, je le mets dans la valise, pour lire à l’hôtel le soir.

Et j’arrive à l’hôtel, mais avec mon ordinateur portable et un document à délivrer pour le lendemain matin pour ne pas bloquer mes collègues sur un projet multi-partite urgent. Malgré mon lever dans la nuit, le voyage et ma journée de cours, je règle les points les plus faciles, puis je me couche et je me lève encore tôt pour attaquer la partie difficile l’esprit clair et livrer la spécification à 8h, avant de retourner en cours. Pas le temps de lire, bien entendu. Ce sera encore pour les calendes grecques.

Sauf que…

J’ai perdu ma veste. Enfin, pas exactement. J’ai égaré ma veste que je retrouverai le lendemain matin après une série de quiproquos improbables. Et dans ma veste il y avait mes clés. Et ces clés me permettaient d’ouvrir ma voiture. Dans laquelle était resté mon ordinateur…

Je me suis ainsi retrouvée à faire le pied de grue, les mains vides, pendant une éternité, à attendre un taxi qu’on m’avait en fait commandé pour une destination erronée, à quelques dizaines de mètres de mes clés que personne ne savait retrouver, en regardant inquiète ma voiture restée toute seule au milieu d’un parking isolé avec l’incongruité de ses plaques suisses dans une région où il n’est pas rare de brûler des véhicules à la moindre saute d’humeur sociale. Pas bon…

… mais j’ai décidé de le prendre avec philosophie: advienne que pourra. Je me suis aussi demandé, dans ce temps mort interminable propice aux pensées vagabondes, si Benoît le cocreateur avait retrouvé ses clés, et je me suis promis de le lui demander dès que je récupèrerai un accès à la blogosphère. En fait, ce ne sera pas nécessaire. Deux heures après que j’aie retrouvé mes propres clés, il publiera sa propre clé de l’énigme! et moi je le découvrirai le lendemain… morte de rire!

Car entre-temps, forcément, privée de mon cordon ombilical informatique au boulot, je n’ai pas d’autre choix pour occuper ma soirée que de prendre ce fameux bouquin.

Dont j’aurai le temps de lire la première révélation (fictive, pour mémoire) ce soir-là:

Devenir éveillé aux coïncidences qui se présentent dans nos vies.

Tout un programme…

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Du confidentiel à l’universel

Solar_system2 Les médias suisses étant moins obnubilés par la campagne présidentielle (quoique…), ils ont consacré pas mal de temps à la découverte d’une planète habitable à 20 années-lumière, annoncée il y a quelques jours.

Ainsi ce matin une intéressante petite note dans la petite tranche quotidienne consacrée aux infos religieuses après le journal de 6h30 et avant les nouvelles du sport sur la RSR (Radio Suisse Romande): comment les religions appréhendent-elles l’éventualité d’une vie extra-terrestre?

Mon beauf avait mis le sujet sur la table à l’occasion du baptême de son fils, et obtenu du prêtre catholique, un ami de longue date, la réponse dogmatique à peine nuancée; le fait que les 3 grandes religions monothéistes se nourrissent à la même source d’histoire-géo ne peut être un hasard, mais le signe d’une volonté d’ordre supérieur.

Ce que les extra-terrestres reconnaîtront certainement: comme quoi il y a encore, potentiellement, des perspectives pour l’évangélisation. Et au passage, la RSR m’a fait découvrir un intéressant personnage dont la mort sur le bûcher pour hérésie n’a heureusement pas effacé la libre-pensée du patrimoine culturel de l’humanité: Giordano Bruno, qui démontra, "de manière philosophique, la pertinence d’un Univers infini, peuplé d’une quantité innombrable de mondes identiques au nôtre. Accusé d’hérésie par l’Inquisition (entre autres parce que cela impliquerait une multitude de crucifixions), et après huit années de procès, il est brûlé vif." (Source wikipedia)

Pour en revenir à l’unicité spatio-temporelle essentielle aux dogmes des religions du Livre, non seulement j’ai de la peine à adhérer intellectuellement à la spécialisation géographique d’un prophète (pourquoi sur Terre et pas sur une autre planète, pourquoi chez les Hébreux et pas une autre peuplade, etc) mais j’ai aussi de la peine à comprendre pourquoi il n’y en aurait qu’un à un moment bien précis de l’histoire (et pourquoi pas une prophète, d’abord? lol). Je serais même tentée d’étudier directement l’enseignement du plus récent de ces prophètes en supposant que le parcours culturel de l’humanité, le savoir et le progrès global et la connaissance de ses prédécesseurs ont dû enrichir sa pensée, sa vision, son message. Mais le dernier de ces prophètes qui font largement foi encore aujourd’hui étant de 14 siècles mon aîné, je trouve cela bien long… Il y a tant de savoirs que nous (l’humanité) avons acquis depuis! Et tellement d’entre nous y ont désormais accès: en 3 clics de souris, on se balade des bases de données de brevets aux oeuvres de littérature classique en ligne, sans parler des tableaux, musiques, textes spirituels fondateurs ou ésotériques, vues aériennes de Google Earth, et informations médicales en tout genre!

On est bien loin de la lente et ardue initiation de maître à élève,  confidentielle et réservée à quelques élus, telle qu’elle se pratiquait dans le compagnonnage pour la transmission des savoirs pendant des siècles, et telle qu’elle se pratique encore dans différents mouvements spirituels. Je me demande ce que cela va changer dans nos modes de pensées. Si cela change quelque-chose???

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Vaccin anti-romantisme

Madamebovary C’est l’histoire d’Emma… au début, elle a mon âge; j’ai 16 ans encore; elle a aussi mes rêves, un peu naïfs, mais elle et moi, nous souhaitons tant les réaliser! Nos petites vies seraient bien trop tristes sans ces rêves, elle qui s’ennuie au fond de son couvent, moi qui aspire à m’évader du quotidien étriqué de mes parents…

Je m’ennuie aussi au cours de français… Bien loin le collège, avec ses profs passionnés qui nous faisaient explorer la science-fiction, le fantastique, les grands romans d’amour et les grandes causes: Barjavel, Tolkien, Emily Bronte, Hemingway, Zola…

Désormais le bac approche, et comme il se prépare sur deux ans, tous les exercices que j’adorais, rédactions, suite de textes, ont disparu au lycée, au profit d’études laborieuses nourries de termes aux consonances éminemment abstraites, litotes, allégories, césures et métaphores. Pour moi, l’application de tout cet outillage mécanique aux plus beaux textes de notre littérature en évapore toute l’essence, toute la beauté, toute la poésie enfin!

Il faut dire aussi que les profs passionnés se défoncent avec les 1ère A, pas chez les scientifiques, ces espèces de tristes sires acnéiques à lunettes dont l’esprit plus porté sur les maths est forcément imperméable à toute expression un tant soit peu poétique… enfin, c’est ce que les profs de littérature s’imaginent… à ces matheux donc, les profs tristounets, qui avancent d’un ton monocorde sur un programme d’un classicisme désespérant… tant pis pour moi!

C’est ainsi que je n’ai d’autre choix que d’ingurgiter l’histoire d’Emma, de ses rêves naïfs jusqu’à son épouvantable agonie, en passant par les affres de sa recherche désespérée du bonheur romantique le plus absolu, jusque dans l’aveuglement le plus sordide…

Et c’est tout particulièrement l’étude de cet extrait qui va me frapper à vie:

Ce furent trois jours pleins, exquis, splendides, une vraie lune de miel.

Ils étaient à l’hôtel de Boulogne, sur le port. Et ils vivaient là, volets fermés, portes closes, avec des fleurs par terre et des sirops à la glace, qu’on leur apportait dès le matin.

Vers le soir, ils prenaient une barque couverte et allaient dîner dans une île.

C’était l’heure où l’on entend, au bord des chantiers, retentir le maillet des calfats contre la coque des vaisseaux. La fumée du goudron s’échappait d’entre les arbres, et l’on voyait sur la rivière de larges gouttes grasses, ondulant inégalement sous la couleur pourpre du soleil, comme des plaques de bronze florentin, qui flottaient.

Ils descendaient au milieu des barques amarrées, dont les longs câbles obliques frôlaient un peu le dessus de la barque.

Les bruits de la ville insensiblement s’éloignaient, le roulement des charrettes, le tumulte des voix, le jappement des chiens sur le pont des navires. Elle dénouait son chapeau et ils abordaient à leur île.

Ils se plaçaient dans la salle basse d’un cabaret, qui avait à sa porte des filets noirs suspendus. Ils mangeaient de la friture d’éperlans, de la crème et des cerises. Ils se couchaient sur l’herbe ; ils s’embrassaient à l’écart sous les peupliers ; et ils auraient voulu, comme deux Robinsons, vivre perpétuellement dans ce petit endroit, qui leur semblait, en leur béatitude, le plus magnifique de la terre. Ce n’était pas la première fois qu’ils apercevaient des arbres, du ciel bleu, du gazon, qu’ils entendaient l’eau couler et la brise soufflant dans le feuillage ; mais ils n’avaient sans doute jamais admiré tout cela, comme si la nature n’existait pas auparavant, ou qu’elle n’eût commencé à être belle que depuis l’assouvissance de leurs désirs.

À la nuit, ils repartaient. La barque suivait le bord des îles. Ils restaient au fond, tous les deux cachés par l’ombre, sans parler.

Les avirons carrés sonnaient entre les tolets de fer ; et cela marquait dans le silence comme un battement de métronome, tandis qu’à l’arrière la bauce qui traînait ne discontinuait pas son petit clapotement doux dans l’eau.

Une fois, la lune parut ; alors ils ne manquèrent pas à faire des phrases, trouvant l’astre mélancolique et plein de poésie ;

même elle se mit à chanter :

Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions, etc.

Sa voix harmonieuse et faible se perdait sur les flots ; et le vent emportait les roulades que Léon écoutait passer, comme des battements d’ailes, autour de lui.

Emma et son amant Léon, aveuglés par leurs premiers jours d’amour… comment peut-on trouver romantique les reflets irisés d’un fleuve pollué, un repas de friture dans un cabaret glauque, parler enfin de nature ainsi en pleine ville? objectivement, c’est ridicule! Mais la soigneuse mise en mots par Flaubert reconstitue à mes yeux parfaitement l’ironie de cet aveuglement, et toute l’histoire ainsi construite sur quelques centaines de pages est au final terriblement convaincante.

Terriblement actuelle aussi, pour moi la gamine de province des années 80: au même moment, j’entends les femmes de la famille chuchoter à demi-mot chez ma grand-mère que la femme de son médecin du bourg doit faire une désintoxication chez les alcooliques anonymes… aurait-elle cherché dans l’alcool cette évasion qu’Emma cherchait dans les bras de ses amants un siècle plus tôt?

Car il s’agit ici d’Emma Bovary pour ceux qui ne l’auraient pas reconnue, très bien rendue dans cet extrait.

Finalement, tout ce roman m’amènera à un début de réalisme sur le genre humain, car je suis sûre de pouvoir reconstituer la galerie de portraits pourtant peu flatteurs de Flaubert en cherchant à peine autour de moi! Mais surtout, ce roman constituera ma première dose de vaccin anti-romantisme idéaliste. L’année suivante, j’achèverai le traitement par la lecture de "Belle du Seigneur", d’Albert Cohen, mais ce sera pour une autre note…

 

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Pour LadyR

Ce ping-pong sur Proust m’est utile pour me rappeler mes limites, préjugés etc… à dépasser.

En échange, j’ai cherché dans mes trésors ce que je pouvais te donner compte-tenu de ce que j’ai lu de tes intérêts en cours… Comme en ce moment, c’est à travers le très riche CD Chants de Robert Gass que j’explore différentes spiritualités, je te poste un lien ici vers l’extrait que je préfère des quelques morceaux soufis que j’y ai trouvés. Le choix a été difficile, mais la présentation de ce morceau est intéressante et m’a finalement décidée; c’est en effet un chant Qawwali traditionnel, chant de dévotion, tel que ceux utilisés lors de rassemblements et fêtes soufis, destinés à guider l’audience vers un état de "marifat", autrement dit de connaissance intérieure/connaissance divine/gnose/éveil, à travers la beauté de la poésie, la répétition de phrases musicales et la performance extatique du rythme et du chanteur.

Cet extrait est du défunt chanteur pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, reconnu comme l’un des plus grands chanteurs de Qawwali.

Bon week-end!

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Petites ou grandes phrases…

Carole a posté quelques réflexions intéressantes sur la difficulté d’accès de certains styles dans les notes de forums sur sa place à elle, dont voici un extrait "recette":

Voyons ce que nous dit un spécialiste, François Richaudeau, dans son livre “La lisibilité”. Une phrase devrait contenir une ou deux sous-phrases, rarement trois. Chaque sous-phrase devrait être composée en moyenne,

  • pour le lecteur lent (moyennement cultivé), de 8 mots
  • pour le lecteur moyen (assez cultivé) de 13 mots
  • pour le lecteur très rapide (cultivé) de 16 mots.

Je me suis demandé ce que cela signifiait pour les blogs? Je savais que le vocabulaire pouvait être difficile d’accès pour certains lecteurs. Par exemple Carole mentionne une différence de vocabulaire des Québécois. Je connais ce type de différence car je l’observe aussi avec les Suisses, notamment ceux dont un des parents est germanophone. Mais je n’avais pas pensé à la construction des phrases: c’est pourquoi je reprends cette note ici.

Je sais que je fais des phrases trop longues quand j’écris spontanément. Je pense que c’est lié à ma forme de pensée, très analytique. Mais effectivement, je peux faire l’effort d’un phrasé plus court quand je le veux plus percutant. Si je retravaille un texte, en général je vais toujours couper des phrases, jamais les rallonger…

Pour une construction de phrases absolument atypique dans notre blogosphère, voir le blog de Sou. Je dois encore faire des efforts dans mon ouverture à l’atypique, car pour l’instant je n’arrive pas à entrer dans cet univers dont je devine pourtant l’immense richesse d’après d’autres traces qu’elle a posé ici et là. Mais ce style m’est vraiment trop hermétique. Pour l’instant. J’ai encore à progresser dans mon ouverture à l’autre!

Pour la pire longueur de phrases, quoiqu’absolument correctes grammaticalement, il faut effectivement tenter la lecture d’un roman de Proust, comme le rappelle d’ailleurs Carole. J’ai essayé, j’ai échoué. Mais il faut dire aussi que ce qu’il racontait dans ce roman ne m’intéressait pas du tout – lol!

Car finalement, le style n’est que la forme au service du fond…

Reste aussi le pédantisme. Souvent absolument inconscient. Quand on est né une cuiller en argent dans la bouche, qu’on a fréquenté exclusivement des écoles bourgeoises et qu’on continue d’évoluer dans les hautes sphères sociales, on peut très bien ne pas se rendre compte du décalage que l’on a, dans les formes, avec les classes populaires voire même les vastes classes moyennes. J’ai vu des spécimens de cette espèce ne pas comprendre qu’ils pouvaient être mal-aimés, engendrer une méfiance naturelle juste à cause de leur parler un peu snob. Et réciproquement – un parler un peu rocailleux peut jouer bien  des tours, notamment en entretien d’embauche (un article à ce sujet justement dans le "PME magazine" suisse de ce mois)…

Je suppose que toutes ces différences transparaissent aussi sur les blogs, à travers les styles et le choix des mots… le problème d’un blog, c’est qu’il s’agit d’une communication un à plusieurs, donc il est impossible d’adapter le style aux différents interlocuteurs. C’est forcément le lecteur qui s’adapte. Pour ma part, j’ai encore du progrès devant moi!