IMG_3556

Etape (suite)

Elan_1 J’avais identifié il y a quelques semaines le besoin de définir une nouvelle étape dans mon parcours professionnel, et peut-être une opportunité de changement à court terme en interne.

Renseignements pris, l’opportunité s’est d’abord révélée moins réaliste que je l’espérais. Toutefois j’ai déposé une petite graine au passage, et elle a dû porter ses fruits, car mon interlocuteur est revenu vers moi la semaine passée avec d’autres propositions intéressantes.

Plus j’y réfléchis, plus ce changement de parcours me paraît une évidence. Mes coaches informels, Mari Charmant et son père, sont convaincus que cela correspond parfaitement à mon profil. Mon interlocuteur, professionnel de la branche, passé le premier moment de surprise ("mais ils ne vont jamais te laisser partir [de ta fonction actuelle]!") m’a tout de suite indiqué qu’il avait souvent pensé à moi comme un profil correspondant à ses attentes (cela fait toujours plaisir!). Donc je n’ai pas visé dans le vide. Ouf. Reste qu’on n’a pas trouvé de terrain d’entente idéal, notamment pour cause de contrainte de localisation (pas envie de faire 2h de voiture par jour pour aller bosser).

Je tourne et retourne le sujet sans cesse, surtout les jours comme aujourd’hui où j’en ai ras le bol de mon rôle d’opérette, ras le bol d’être bloquée dans la résolution de problèmes que j’ai pourtant clairement posés – bloquée par les guerres de territoire (je devrais dire tranchées vu leur immobilisme caractéristique) de l’armée de managers en tous genre qui nous gouvernent/dirigent/conseillent sous prétexte que toute solution possible s’avère défavorable à au moins l’un d’entre eux – et malheureusement, mes sujets ne sont pas assez critiques pour remonter jusqu’à Triple Big Boss pour un arbitrage sans appel… Marre, marre, marre! et moi qui voulais juste me rendre utile en revenant sur des projets concrets l’été dernier – j’aurais mieux fait de rester dans mon coin…

Bref. Dans mes investigations, j’ai quand même, enfin trouvé la formation continue de mes rêves sur la spécialisation de mes rêves! Avec même une option de diplôme universitaire postgrade! Et avec cela, je serai AU-DESSUS des tranchées: ils auront tous besoin de me consulter un jour ou l’autre et je travaillerai en transversal entre le R&D, le marketing et le biz dev avec un rôle plus neutre qu’aujourd’hui…

On ne sait pas de quoi demain sera fait et j’aimerais bien valider l’expérience de terrain acquise en entreprise par un bout de papier reconnu au-delà du bureau de Big Boss et des guerres de tranchées! et puis moi, j’ai toujours aimé l’école, surtout avec un joli diplôme su-sucre au bout pour me motiver…

Restent 2 obstacles à franchir:

1) convaincre Big Boss de me payer cette formation pour 2007 (temps & argent). A noter qu’il s’agit de me former à une partie de ses prérogatives – pour lesquelles lui-même n’a pas fait de formation externe à ma connaissance. Potentiellement délicat.

2) convaincre Mari Charmant de me laisser partir 5*3j sur 6 mois dont 5 demi-week-ends (bon, vu tous les mercredis que je consacre en solo aux mômes depuis 7 ans, je pense qu’il y a matière à négocier 😉

Si 1) échoue: faire la formation sur mon solde de vacances et mon 20% de marge (en bossant quelques mercredis. Retour au point 2…) et la financer moi-même (il y a des manières plus idiotes de dépenser son épargne et en plus j’économiserai des impôts, ce qui en baissera significativement le coût effectif – toutefois, cela nécessite là l’aval de Mari Charmant).

Si 2) échoue… Non, 2) n’échouera pas:

Conseil: ne jamais se marier avec une bretonne têtue, planificatrice et calculatrice si vous n’avez pas envie de lui laisser les rênes sur ce genre de question.

En tout cas, cela va me permettre de mesurer mes talents de négociation! je vais préparer mon dossier dès demain. Rien que d’avoir ce projet en tête, cela me remonte le moral. Peut-être devrais-je aussi sortir le grand jeu de la bretonne têtue, planificatrice et calculatrice à Big Boss, après tout. Cela me réjouirait presque!

IMG_3556

A propos d’amitié

Une note de Lomi-Lomi sur les amitiés et inimitiés m’a donné quelques pistes de réflexion…

Amitiés, combien elles me manquent! j’y pensais encore l’autre soir – toutes mes copines d’antan sont restées en Bretagne ou sur Paris, et j’en ai perdu beaucoup en route, alors que nos vies, sournoisement, divergaient (case 1).

Et inversement, tous nos copains d’ici, rencontrés pendant les études qui nous ont amenés en Suisse, ont trouvé l’âme soeur dans le coin: les femmes de ces copains-là ne sont pas des exilées comme moi, elles ont toujours leurs grandes copines d’antan à portée de voiture, alors même si on passe de bons moments ensemble de temps à autre autour d’un BBQ ou d’une raclette selon la saison, je ne serai jamais dans le premier cercle de leurs intimes (case 2). 

Pour se faire des copines, il faudrait d’abord que je les rencontre, et cela, mine de rien, ce n’est pas si facile. Dans mon travail, les filles sont ultra-minoritaires, et celles qui restent sont soit plus vieilles, soit plus jeunes, soit entre les deux comme moi, mais sans enfants (et toutes ces catégories sont sans affinités avec les histoires de pampers des Kate Reddy de mon genre), soit suissesses (retour à la case 2), soit à parmi mes collègues de… Paris (retour à la case 1).

En dehors du travail, je me suis secouée pour faire du sport un soir hebdomadaire depuis l’an passé et cela m’a permis, effectivement, de revenir dans un monde, pour le coup, exclusivement féminin. Même chose avec les activités autour des enfants, anniversaires, ludothèque etc, mais bon, comme c’est la nounou qui fait la sortie des classes, il m’est arrivé l’an passé de croiser une maman de l’école à un anniversaire qui a ouvert de grands yeux: ah, c’est vous la maman de Lili? et c’était… en juin! Et encore heureux que je joue le jeu le mercredi grâce à mon 80%, sinon je serais complètement déconnectée de ce monde… 

Et une amitié met du temps à se construire – comment trouver ce temps dans un emploi du temps ultra-serré? mon temps à moi, c’est le soir entre 20h et 23h, quand les gens normaux regardent la télé…

C’est pour cela que je viens chercher de la lumière ici – ce n’était pas du tout mon intention de départ, j’ai débarqué avec juste l’envie d’utiliser le blog comme outil de mise en forme de mes mots, motivation avant tout technique et aussi une idée abstraite de "publication", poser des mots ici pour qu’ils soient publics, même si personne ne passait les voir, cela n’avait pas vraiment d’importance, c’était juste une motivation/satisfaction abstraite. Mais à ma grande surprise, cela m’a permis de rencontrer d’autres personnes derrière d’abord des commentaires, aussi quelques mails, et bien entendu ce que leurs blogs révèlent. Finalement, je passe bien la moitié de mon temps sur les blogs des autres, pas sur le mien, ce qui montre tout de même que j’y trouve mon compte… Et vous êtes complètement différents des gens que je croise dans ma vie réelle, c’est super enrichissant pour moi! je n’oserais jamais discuter avec des gens comme Vero, Marino, Lomi-Lomi, Alibi-bi ou Enriqueta par exemple, dans la réalité, je suis sûre que vous me paraîtriez toutes trop intimidantes, mais moi j’ai plein de choses à apprendre de ces gens intimidants…

Je vais continuer… Merci pour vos présences!

IMG_3556

Regarder les arbres

Olivier_2

Depuis quelques temps, je regarde les arbres.

Je vois des arbres que je ne voyais pas avant.

Ou je les vois différemment, parce que maintenant, je les regarde.

C’est étonnant: j’ai découvert des arbres au carrefour de sortie de l’autoroute que je n’avais jamais vus pendant toutes ces années; pourtant ils n’ont pas poussé en trois mois! je vois un arbre un peu tordu, planté sur une bosse dans un champ sur le chemin du village, sous une perspective intéressante, puisque de la voiture en contrebas, il paraît s’élancer vers le ciel, et l’hiver, avec ses bras nus, l’image est saisissante… pour qui sait le regarder. Un peu plus loin, dans un champ de l’autre côté, sûrement bientôt menacé par les lotissements rampants de ce village en pleine expansion, un magnifique hêtre, qui doit passer sa vie au soleil à regarder les dents du midi et le Mont Blanc, loin, très loin là-bas. Et un autre hêtre encore, au sommet de la montagne qui m’héberge, planté sur la lisière de la forêt d’épicéas: d’une large branche coudée, burinée par l’âge et recouverte d’une mousse épaisse et douce, il domine le plateau Suisse sous ses pieds. Quand je prends le temps de monter là-haut, pas assez souvent hélas, je vais toujours le toucher, il est si beau.

Loin de mon quotidien, l’olivier de la photo a grandi sur le site de Kourion, site archéologique majeur de Chypre. En balade dans ces contrées méridionales, j’adore les oliviers, leurs troncs noueux, la touche délicate de leurs petites feuilles gris-vert qu’ils apportent dans l’ocre des terres méditérannéennes: cette dernière couleur, dominante là-bas, est si étrange à mes yeux habitués aux pâtures des contrées humides de Bretagne et des contreforts des Alpes du Nord que j’y cherche la verdure partout, c’est maladif!

Sans doute devrais-je en immortaliser plus avec mon appareil de poche, et les partager avec vous… Et inversement, si vous en avez dans vos albums, n’hésitez pas à en décorer l’une ou l’autre de vos notes…

Car c’est beau, un arbre!

IMG_3556

Papyrus #3 – L’appel de la montagne

Il était une fois un petit garçon plein de vie, qui parcourait tout enthousiaste, par tous les vents et dans toutes les boues, les chemins creux et défoncés d’un bocage isolé pour aller chercher le Savoir à l’école du village, car le Savoir des siens ne lui suffisait pas.

Car c’était alors, en effet, le temps des grands Progrès : des allocations familiales aux tracteurs, de l’électricité à l’eau courante, de la pénicilline aux vaccins, que d’inventions magnifiques! Et au cœur de tout cela, l’école, qui éradiquait alors indifféremment les poux et les ploucs. En effet, les poux étaient devenus très simples à éliminer à grand renfort de DTT, cette autre merveille de la science chimique ; pour les ploucs, par contre, c’était toujours un peu laborieux, car il fallait tout d’abord enterrer leur langage terreux, mal approprié pour véhiculer les nouveaux savoirs. Mais à défaut d’être d’une efficacité absolue, les progrès en la matière s’avérèrent tout de même statistiquement significatifs dès lors que, l’électrification des campagnes aidant, la radio puis la télévision gagnèrent enfin ces audiences reculées.

Est-ce donc à l’école, ou par la radio, que le petit garçon découvrit les montagnes de légende? Selon ses souvenirs, l’école l’emmena voir la mer, à l’âge de sept ou huit ans, mais cela représentait encore l’excursion de toute une journée ; la montagne, à des centaines de kilomètres, était clairement hors de portée… Plus probablement, la montagne dut s’imposer à ses rêves de gamin comme à des milliers d’autres dans toute la Bretagne, à travers ses ambassadeurs les plus mythiques d’alors. Car, dans les années 50, les campagnes retardées et socialement défavorisées du Centre-Bretagne avaient leur Zinedine Zidane, comme plus tard les banlieues nord de Marseille au tournant du millénaire. Elles en eurent même deux dans cette décade : Robic, puis Bobet, coureurs cyclistes bretons de légende, s’il en est.Hsvelocopie

Ainsi ces lointaines montagnes, inaccessibles et pourtant synonymes de tant d’exploits héroïques, devinrent pour le petit garçon un rêve, un projet, l’étape obligée de sa propre ascension. Car le chemin était long depuis l’école du village pour se construire enfin une vie différente des siens, même si les bourses venaient compléter les allocations familiales pour aider les gamins des champs les plus doués à accéder aux nouveaux Savoirs nécessaires à la nation, à l’industrie, au progrès. Il parcourut donc patiemment les longues étapes en peloton, d’internat en internat ; ce faisant, il gravit laborieusement les cols de plus en plus raides, certificat d’études, BEPC, baccalauréat, semant chaque fois plus d’équipiers… Puis vint l’étape clé, la plus difficile : le contre-la-montre des Concours aux Grandes Ecoles.

Et il escalada tout cela sans pause, travaillant dur aux champs pour aider le père tout l’été, travaillant dur à la ville soir et week-ends pour payer sa chambre d’étudiant tout le restant de l’année.  Certainement il était fatigué… le classement le déçut ; il ne serait pas le premier polytechnicien de son village. Ni même centralien. Ingénieur chimiste peut-être ; mais il fallait descendre à Marseille ; et de toute façon, il n’aimait pas la chimie. Or le tour de France est sans pitié pour les retardataires d’un jour : éliminés ; pour lui, plus de bourse. Il lui fallait donc redescendre dans les collines, celles de l’université, ce qu’il fit finalement de bon cœur, car le rythme y était plus tranquille, et à condition qu’il s’engageât d’avance à travailler à la transmission de ses Savoirs pour l’état dès son diplôme en poche, une bourse confortable lui fut de nouveau allouée.

Ainsi il se traça désormais une vie tranquille, dans le confort et loin des champs à part quelques escapades de pêche à la ligne. Cette vie fut bientôt égayée par l’amour d’une compagne et de quelques enfants vifs, et restait rythmée toujours par les rentrées scolaires et les examens, mais du bon côté à présent.

Cependant, il restait tout de même à ce petit garçon devenu grand un rêve personnel à réaliser : voir ces montagnes qu’il avait tant imaginées gravir, pendant toutes ces années, et qui continuaient de le fasciner sur le petit écran désormais coloré. Il lui fallut encore quelques années pour mettre l’argent de côté et disposer d’une voiture assez fiable pour traverser la France, quelques mois pour finaliser le projet – choix de la région, se loger -, puis encore une de ces immenses journées d’été pour y arriver enfin : Jura, 900m d’altitude, presque trois fois plus haut que la plus haute lande des Monts d’Arrée !

Un mois ne suffit pas pour rassasier sa soif de montagne, et il y retourna souvent ensuite. Mais ce mois lui suffit à emmener la petite Kerleane s’étonner devant les curieux plissements calcaires des falaises du Doubs, découvrir la mythique Chamonix et sa mer de glace, se baigner dans les lacs de Neuchâtel et du Léman, voir décoller les deltaplanes, et surtout, au bout d’un chemin étroit et défoncé, pique-niquer un soir dans une vallée perdue des Diablerets, parsemée de chalets d’un bois hors d’âge, et troublée seulement du tintement des cloches des vaches.

J’ai encore en moi le bonheur familial de ce magnifique soir d’été… l’appel de la montagne a pris le relais. Et peut-être l’ai-je transmis à mon tour: ci-dessous, été 2005, Lili à son tour pose fièrement près de son premier sommet!

Pour ce parcours… bravo Papa.

Pour ce partage… merci Papa. 

Premiersommet_1 

IMG_3556

Qi Gong qui vient à point

J’ai enfin pris le temps de participer à un atelier découverte du Qi Gong ce week-end.

C’était juste une initiation en groupe d’une dizaine, un peu rapide, mais comme j’avais déjà lu pas mal sur le sujet et fait quelques expériences de la position de l’étreinte de l’arbre, çà m’a paru très simple.

Nous avons fini par une séance plus statique, en tailleur, d’exercices d’auto-massage énergétique. Les autres en sont sorties pleines d’énergie… moi, par contre pleine d’une vraie fatigue physique, bien saine, comme si j’avais enfin éteint ce mental emballé…

Il faut dire que j’étais encore dans le rythme effrené de cette semaine débordant de réunions entre Paris, Londres et le bureau, et que dans ma déraison j’ai encore allongé ma surexcitation nerveuse par l’exercice de la femme du marin quand j’ai découvert ce jeu en revenant sur les blogs hier soir… je me suis couchée trop tard et complètement excitée par le texte que je venais d’improviser quand j’ai réalisé à sa dernière relecture que je pourrais un jour l’offrir à ma marraine, femme du marrain, comme je l’appelais enfant… mais il est trop tôt encore. Les papyrus sont comme le vin: destinés à vieillir en attendant d’être lus au bon moment.

Ce mental emballé ne s’est pas calmé pendant la nuit, me réveillant à deux reprises pour m’apporter enfin, sortie des bas-fonds de mon sommeil agité, une voie de solution possible à un des problèmes majeurs de ma semaine professionnelle. Du coup, je me suis levée de bonne humeur, quoique fatiguée…

Alors le travail sur la descente d’énergie sur lequel la prof a bien insisté, "car il est plus facile de faire monter que de faire descendre l’énergie quand on débute", tombait sûrement à pic pour me calmer le cerveau. En tout cas, j’ai dormi comme un bébé 20mn de sieste profonde cet après-midi, et je suis toute détendue enfin, çà doit venir de là…

cela-dit, j’ai pas trop compris quel était ce travail au juste, donc il faudra que j’étudie cela plus sérieusment. La semaine prochaine, je fais l’atelier découverte Tai Qi, et ensuite, on verra.

IMG_3556

Etape

il y a eu l’agitation et les prises de conscience, soudaine lucidité – cet été

il y a eu l’élan créatif et la joie de retrouver les valeurs oubliées des fondations de ma vie d’adulte – cet automne

puis encore quelques pas ces derniers jours… les bilans de fin d’année… des sujets sans cesse ressassés… rien de nouveau, Super Boss est content. Pour moi… une énorme lassitude, mais je n’avais même pas envie de le lui dire… comment peut-il se prétendre aussi content au milieu de tous les problèmes, dont beaucoup sont structurels aujourd’hui alors qu’on en anticipe encore d’autres, conjoncturels ceux-là, pour demain?

Une seule surprise, tout de même, au milieu des entretiens entre 4 yeux:  mon lieutenant dans l’organigramme, livré à une totale autonomie toute cette année au gré de la différence des projets qui nous occupaient l’un et l’autre, rêve à une magnifique opportunité… ailleurs. Et je n’ai rien vu venir! heureusement encore que c’est une opportunité interne – je ne me serais jamais pardonné d’avoir démotivé l’un de nos ingénieurs les plus brillants, même si je n’ai, somme toute, qu’une influence ridicule dans tout cela, si on regarde la réalité des faits plutôt que l’organigramme.

Car c’est limpide, là est le coeur du problème: c’était le dernier signal dont j’avais besoin pour me convaincre que j’en ai marre de mon rôle de manager d’opérette. Je me suis amusée à écrire mon CV cet été, afin de transformer l’agitation en acte constructif. Le problème est qu’il ne me correspond pas et que je le trouve peu crédible.  Mediocrity

Or je n’ai aucune envie d’un titre plus ronflant et de plus de responsabilités pour améliorer cette crédibilité.

En même temps, j’ai l’impression d’avoir fait le tour des sujets qui m’occupaient ces dernières années. Et moi, quand je n’ai plus rien à apprendre, je m’ennuie…

Tout cela est terriblement bancal!

or il y a eu un petit signal cette semaine; peut-être une opportunité; et plusieurs coïncidences qui renforcent mon sentiment d’être actuellement dans une étape entre deux segments de vie et qu’il m’appartient, ici et maintenant, de décider d’un changement de cap entre leurs cheminements.

Bien sûr il ne s’agit ici que de ma vie professionnelle, mais dans mon développement personnel c’est un élément essentiel car j’ai la chance d’avoir un métier qui me permet d’apprendre, de rencontrer, de comprendre et de réaliser (quoique c’est sur ce dernier pôle justement que je suis vraiment frustrée). En outre, vu le temps que cela prend un boulot à responsabilités, certains choix qui m’ont été proposés dans le passé n’étaient tout simplement pas acceptables dans la balance vie familiale, conjugale, loisirs et/ou mode de vie, en particulier notre choix d’habiter au vert.

alors c’est décidé… lundi, j’appelle mon opportunité de changement de cap numéro un.

IMG_3556

Novembre m’inspire

1er novembre aujourd’hui! Et le calendrier, cet année, ne m’a pas trahie. Nous avons perdu près de 20 degrés en 3 jours.

Et moi, je suis contente! j’ai toujours aimé novembre, et je m’impatientais d’y arriver cette année, au bout de cet été indien qui n’en finissait pas.

Novembre, quand j’étais petite, cela commençait par le rassemblement de la famille au déjeuner chez mes grand-parents, puis la messe des morts et la visite au cimetière, et comme le calendrier ne nous trahissait généralement pas, cela se faisait le plus souvent sous la pluie ou dans le vent, voire même, certaines années, les deux à la fois. D’ailleurs, on sortait les manteaux d’hiver neufs à cette occasion. Je crois que je ne suis jamais allée à l’église en tribu familiale à Pâques, ni même à Noël, mais la Toussaint, c’était incontournable! Ce qui, avec le recul (et un certain esprit critique…) me fait penser qu’on avait finalement dans la pratique catholique locale plus le souci (et le souvenir pour certains) de nos morts, proches de nous et rappels de notre propre destin de mortel, que celui des évènements bibliques, quand bien même ces derniers se présentaient comme plus joyeux et plus miraculeux…

Ciel En tout cas, novembre en Bretagne, c’était parfait pour l’ambiance! arbres dénudés comme des cadavres noircis se découpant sur un horizon privé de lumière, tempêtes automnales, et surtout des heures de cette petite pluie fine (crachin, bruine…) dont l’humidité pernicieuse s’infiltre jusqu’au plus profond des maisons. Je sens encore le froid des draps sur mes jambes nues, dans les chambres mal chauffées où j’ai parfois logé à cette saison.

A l’adolescence, j’ai eu le plaisir (laborieux tout de même) de mettre des mots sublimes sur ces atmosphères: le spleen de Baudelaire, si bien exprimé dans ces quelques vers

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis (…)

Ainsi j’étudiais Les Fleurs du Mal au lycée, et sur le chemin du retour, je me récitais ces vers en y ajoutant des suites de mon cru, selon mon humeur du moment. Bien sûr, l’image d’enfermement me parlait d’autant plus que je me sentais également à l’étroit dans ma coquille mal dégrossie d’adolescente mal aimée de ses pairs (du moins le percevais-je ainsi) et rêvant à d’autres horizons, ceux d’une vie adulte libre et lumineuse, qui m’étaient encore totalement inaccessibles. Ainsi novembre résonnait-il plus en harmonie avec mes doutes et angoisses intérieurs d’alors que les chaleurs, couleurs, odeurs exubérantes des mois estivaux par exemple…

Enfin, depuis mes 13 ans, novembre a souvent été pour ma vie intérieure le mois du renouveau, de la créativité. L’explication se trouve facilement dans le fait que ce mois est propice au repli sur soi dans les chaumières; au travail d’écriture que rien ni personne ne vient troubler tant il est désagréable de sortir aux premiers frimas; puis finalement, tellement plus propice que les autres temps de l’année aux longs cheminements intérieurs sans distraction autre que le hurlement du vent les soirs de tempête et, de temps en temps, le craquement d’une bûche dans l’âtre. Pour un peu, on entendrait les esprits s’exprimer dans ces monologues trop sinistres (pour ceux qui y croient). Pas étonnant que la fête des morts tombe à cette période sous nos climats!

Spleen ou pas, j’ai avancé à travers tous ces mois de novembre. Celui de ma vingtième année, j’ai déplacé ma vie, au sens propre et au sens figuré, et c’est là enfin que je suis entrée dans mon ère adulte. C’est d’ailleurs là que plein de petits maux dont je souffrais avant ont disparu. J’ai un souvenir fantastique de ce mois de novembre où j’ai enfin investi ma vie plus librement.

Il y a eu d’autres mois de novembre plus perturbateurs, ensuite. Je suis souvent tombée amoureuse en novembre, j’y ai rompu aussi, ou failli rompre; mois du travail sur moi, des remises en question, parfois salutaires, parfois excessives. Finalement, c’est un mois où je suis un peu décalée (on peut peut-être l’expliquer par de subtils déséquilibres hormonaux dûs à l’entrée dans la saison hivernale) et il vaut mieux me laisser tranquille. En principe, j’en sors en forme. Mais mieux vaut ne pas me déranger.

Quand je suis arrivée en montagne, novembre a pris un sens tout différent: bien plus rares la bruine et les tempêtes de mon enfance – c’est ici aux premières neiges que l’on s’attend; celles qui parent les arbres d’un habit féérique, d’une blancheur immaculée. Et les jours sans neige, alors que les basses plaines sont enfermées sous le couvercle du ciel bas et lourd si propice au spleen, ici, le brouillard est sous nos pieds et, pour peu qu’il ait neigé, le soleil ajoute aux arbres une parure d’étincelles.Chapelleneige

C’est pourquoi j’aime toujours autant novembre. Le spleen de mes 15 ans me touche bien moins; par contre, la perfection et la pureté d’un paysage enneigé sous les rayons d’un soleil faiblissant mais bien présent résonne toujours avec mon état d’esprit, comme un but, une harmonie à atteindre par moi-même.

Bref. Il y a 2 ans, j’ai utilisé novembre pour faire une pause dans ma vie avec l’aide de Mari Charmant, qui a assuré comme un chef la logistique domestique en plus de son boulot pendant les 6 jours nécessaires à une retraite en thalasso "Harmonie-Energie". Entre les soins et la gym, je me suis replongée dans mon histoire, mon présent et mes projets par moi-même (avec pour seule aide un de ces petits carnets pratiques de Psychologies Mag que je trouve fort utiles). Cela m’a fait beaucoup de bien, forcément physique grâce à la cure, et surtout, je suis revenue l’esprit serein.

L’an passé était plus tranquille. Cette année… on verra!

   

IMG_3556

Ils rêvent de gagner à l’Euromillion – moi pas

Les doutes de Desperate Workwife sur son rapport à l’argent lus au travers de ma corvée des factures mensuelles ce dimanche après-midi a mis le sujet sur mon tapis… devrions-nous tous donc rêver de gagner à l’Euromillion pour débarasser nos dettes et être à jamais (ou du moins sur plusieurs générations) à l’abri de la peur du lendemain qu’exprime si justement Desperate Workwife:

Donc, comme certainement beaucoup de nos semblables, nous donnons l’image d’une famille bourgeoise, aisée, sans difficultés, jouissant de situations solides, etc. A l’intérieur, le doute sur notre avenir, notre peur d’avoir fait des paris risqués nous ébranle et nous fait vaciller. On se rassure comme on peut, en se disant qu’après la prochaine déclaration ce sera forcément plus souple, on s’en sortira, que ces années de rattrapage sont particulièrement difficiles, etc…

Le fait est que, avec le report de la cagnotte Euromillion toujours pas gagnée, collègues, voisins, commerçants autour de moi m’ont l’air tout excités…

Mais moi, je ne joue pas à Euromillion.

Je suis complètement hermétique à ce genre d’espoirs. Je suis beaucoup trop lucide sur l’impact qu’un gain de 200 millions aurait sur ma vie, même si une bonne partie part aux impôts (en Suisse).

Je me trouverais projetée dans le clan des (très) riches. Je devrais équiper ma maison d’alarmes (ou mieux déménager), mettre mes filles dans une école privée par peur du racket, me prendre la tête à contrôler que des gestionnaires de fortune ne sont pas en train de m’arnaquer… Euromillion

Mais surtout, je serais en décalage avec ma famille, mes relations, mes amis d’hier et d’aujourd’hui; et j’aurais toujours un doute sur la motivation cachée dans les relations à autrui… l’argent compte dans les relations sociales, familiales, amicales. Mari Charmant a fait quelques périodes de chômage dans son parcours, avant de réussir à monter son business. Il a vu terriblement clairement comment les gens se comportaient différemment au cours du temps: méprisants devant le "looser" qui ne le fréquentaient plus que parce qu’à travers moi, restée dans la boucle des salariés méritants; puis quand le vent a changé, clairement intéressés devant le "winner" devenu susceptible un jour de les embaucher (ils peuvent toujours courir: il ne leur a pas pardonné!). L’idée de me faire bouffer le restant de ma vie par tous un tas de parasites espérant récolter des miettes ne m’enthousiasme absolument pas…

Par ailleurs, il m’arrive de descendre dans un hôtel 4 étoiles à l’occasion de conférences professionnelles, mais je m’y sens toujours mal à l’aise de croiser indifféremment dans le couloir les femmes de ménage à la vie laborieuse et des "femmes de luxe" aux bijoux présomptueux. En fait, je me sens plus proches des premières, je leur dis toujours bonjour… Elles me rappellent les femmes que je côtoyais sur la chaîne de mon premier boulot d’été, simple case "stage ouvrier" pour moi dans mon parcours de formation d’ingénieur, mais tout leur avenir sans autre horizon probable pour elles. On papotait un peu à la pause: elles avaient 20 ans comme moi, mais souvent déjà des gamins à nourrir, habiller, éduquer… et à la fin du mois, comme elles étaient pour la plupart intérimaires, elles tremblaient d’angoisse devant le verdict du patron venu annoncer dans l’atelier s’il les reprenait ou pas, selon la marche des affaires… je n’ai jamais autant mesuré la chance d’avoir un autre parcours (merci l’école).

Quand aux autres, les "femmes de luxe", de toute façon, elles m’ignorent si elles me croisent: je n’ai pas le bon look, les bonnes manières, les codes sociaux-culturels des hautes sphères. Je ne suis pas à l’aise, gauche et malhabile; elles le sentent. Pourtant j’ai appris, cela va beaucoup mieux qu’il y a 10 ans; on ne me surnomme plus Bécassine (c’était gentil, mais juste!). Pour moi, devoir naviguer dans le beau monde, c’est une vraie corvée: je suis convaincue qu’être multi-millionnaire me dénaturerait.

Enfin, je ne pense pas que l’argent rende plus heureux, même si le manque d’argent rend la plupart du temps plus malheureux. Je crois, par contre, que le travail rend heureux, quand il est choisi et pratiqué avec conscience. Le goût du travail bien fait, le plaisir de se savoir utile: comme le chantait si bien Lavilliers, si demain par aventure, je devenais super riche…

J’voudrais travailler encore – travailler encore
Forger l’acier rouge avec mes mains d’or
Travailler encore – travailler encore
Acier rouge et mains d’or

J’peux plus exister là
J’peux plus habiter là
Je sers plus à rien – moi
Y a plus rien à faire
Quand je fais plus rien – moi
Je coûte moins cher – moi
Que quand je travaillais – moi
D’après les experts

… conclusion: l’euromillion… je le laisse aux autres!

   

IMG_3556

Répit pour l’ancêtre

L’ancêtre est sauvé. Je l’ai appris de source sûre il y a quelques semaines.Epicea_2

Bien sûr, la décision nous appartenait. Mais je me voyais mal me fâcher avec mes futurs voisins à cause de lui.

Bien sûr, Lili avait décrété que c’était SON arbre, mais on lui en aurait trouvé un plus joli, à la place de ce mastodonte tout fourchu et étêté.

Bien sûr, on y aurait gagné un peu de soleil dans la soirées du solstice estival, mais on n’a pas de terrasse de ce côté, de toute façon.

Bien sûr, il est protégé par l’Office Fédéral de l’Environnement, comme tous les autres grands arbres du coin. Mais… "dans la mesure du possible" dit le texte local. Ce qui n’est pas du tout une garantie de survie, du coup, vu que sur les 5 dernières années, ils en ont abattu 2 bosquets sur la piste, plusieurs autres sur la lisière de l’autre côté, ce matin, un arbre "tout sec" chez le voisin du coin, m’a dit le garde forestier pour me prévenir de la coupure de la route (la vérité est probablement que la récente mise en vente du chalet unusuellement luxueux du dessus donnait une valeur à 6 chiffres suisses à son abattage, car il gâchait le panorama…); et bien sûr, pour construire, les futurs voisins doivent abattre 3 ou 4 ancêtres qui mangent toute leur parcelle.

Bref, c’est l’hécatombe, donc il paraît qu’on va devoir préserver absolument l’ancêtre du fond plus que quelques autres situés à des endroits moins stratégiques. Condition sine qua non pour l’abattage chez les futurs voisins.

C’est puéril… mais quelque-part, cela me soulage: je pense, à en juger par son épaisse écorce ridée et sa circonférence impressionnante, qu’il n’a pas loin des 500 ans réglementaires atteints par cette espèce. Je me plais à l’imaginer bébé, poussant à la Renaissance, puis vigoureux dans le Siècle des Lumières, puis mâture à la Révolution Industrielle, puis vieillissant dans le chaotique 20ème siècle et toujours, au long de ces décennies, imperturbable dans un paysage bucolique enneigé l’hiver, en compagnie des vaches l’été. Jusqu’au tournant du millénaire, où il a vaillamment résisté au dévastateur Lothard qui a pourtant rasé toute une colline de ses congénères, sous ses yeux, en face.

C’est alors que nous sommes venus nous installer, à deux dizaines de mètres sur ses pieds, mais sans le déranger, même si ce faisant, ce sont peut-être les racines de ses ancêtres que nous avons délogées de l’argile de nos fondations dont une partie a été, ironie, coulée le jour même où les 2 plus hautes constructions d’une bien plus vaste cité humaine s’écroulaient, percutés par la folie des hommes…

L’épicéa est le symbôle de la naissance: j’espère ne pas le voir mourir.

Longue vie à l’ancêtre!

IMG_3556

Papyrus: “Fille du Poher”

Voici la nouvelle dont l’écriture a tout chamboulé dans ma tête cet été comme je l’ai expliqué dans une de mes premières notes. J’ai reçu la lettre du concours aujourd’hui: elle n’a pas été retenue, ce qui me permet de la publier librement ici (enrichie d’images et hyperliens: vive le multimédia!).

Qui sait, peut-être ce papyrus trouvera-t-il quelque écho chez un lecteur de passage… vos commentaires sont bienvenus.

Note: Les portraits illustrant ce récit sont des miniatures tirés de l’oeuvre magnifique de Sandrine Gestin, une jeune artiste d’origine bretonne que j’ai découverte sur la toile. Si vous cherchez des idées de cadeaux, elle a une boutique pleine de merveilles ici.

Fille du Poher

Elle était née dans un village du massif armoricain, si érodé que le granite affleurait dans la plupart des champs. C’est pourquoi la terre y était pauvre ; mais les hivers étaient doux, l’eau ne manquait jamais, et cette contrée à l’écart des cités de pierre où s’épanouit l’ambition des hommes n’était que rarement atteinte des guerres et épidémies que drainent leurs grands chemins.

Ainsi elle se savait fille, petite-fille et arrière-petite-fille de femmes dont les traits rappelaient les siens, et dont la vie s’était écoulée semblable à la sienne entre les mêmes collines et forêts depuis un temps incertain, au-delà de la mémoire transmise par les Anciens.

Moisson_1

De même elle se savait née de ses père et grands-pères, hommes robustes et taciturnes qui répétaient simplement le travail de cette terre ingrate sans lever les yeux vers d’autres horizons. Certes, de temps en temps, un fils ou un frère était parti, n’ayant plus de sillons à partager au sein d’une trop grande fratrie, ou malheureusement torturé par les démons de l’aventure comme parfois les jeunes garçons. Mais aucun n’était revenu : d’après les Anciens, le monde des morts commençait au-delà de la forêt ; leurs récits, inquiétants comme l’agonie de la lumière dans les gris après-midi de novembre, mettaient en scène un monde fantasmagorique mêlant les morts aux vivants et le sacré aux réalités naturelles plutôt que les exploits des héros chantés ailleurs, sans que cela n’étonne personne dans cette contrée de Bretagne encore ignorante de la culture, du savoir des savants, et même de l’histoire.

On rencontrait déjà bien assez la mort en travaillant, en enfantant et en vieillissant pour ne pas aller la chercher de son propre gré. Car c’était par les accidents, et les maladies, que le monde des morts se manifestait le plus souvent pour le plus grand malheur des vivants, que ce soit sur les animaux, les cultures, la forêt, ou pis encore, les gens. Certains de ces évènements étaient d’une nature particulièrement spectaculaire et traumatisante, comme les incendies ; et plus rapide, plus bruyante, plus brûlante encore que la plus forte des flammes, car venue directement du ciel : la foudre. Les autres éléments n’étaient pas en reste : l’eau, particulièrement vicieuse dans son habileté à reprendre aux mères leurs tout-petits marchant à peine dans les innombrables flaques, ruisseaux, puits et fontaines de ce pays humide; les cailloux, les rochers, et plus encore le métal extrait de ces derniers, par des blessures parfois mortelles lorsque les plus fougueux s’excitaient les uns contre les autres, poussés par les mauvais esprits ; et même l’air, qui se chargeait de pestilences autour des malades, hommes ou bêtes, pour en contaminer d’autres. Et cet air se déchaînait souvent, se mêlant à la pluie vicieuse pour rouiller les os tout l’hiver et même au-delà, dans ce pays sans franches saisons, soumis à la ribambelle des tempêtes atlantiques.

Fayard

Contre les peurs des Anciens, l’ambition des êtres les plus doués de ce peuple simple était donc non pas l’exploration des frontières du monde physique, mais, plus abstraite, la maîtrise du sacré, à travers les rites qui aidaient les vivants au détriment des morts. Cependant le passage entre ces mondes était une frontière perpétuellement mouvante, et la distinction entre le Bien et le Mal qui en définissait les équilibres subtils nécessitait la plus grande perspicacité. On en parlait peu ; certains rites se perpétraient transmis entre quelques élus, alors que d’autres se pratiquaient simplement en famille, les mères veillant scrupuleusement à leur respect : le culte des multiples saints et saintes aux vertus protectrices se mêlait ainsi intimement aux rites du christianisme primitif importé d’Irlande plus d’un millénaire auparavant.

http://www.sandrinegestin.com Dans ce monde elle avait grandi, enfant curieuse d’apprendre tant des récits intrigants des Anciens que des gestes assurés de ses parents. Ainsi sans cesser d’exécuter soigneusement sa part croissante des travaux quotidiens, elle observait les plantes et les animaux le jour, la lune et les étoiles la nuit. Car elle vivait plus ardemment que ses pairs, l’esprit sans cesse en éveil agité par des questions sans réponse dans sa langue rocailleuse, mais animée avant tout par la volonté de bien faire, de mieux faire, pour elle et pour les siens. En effet, dans les récits des Anciens, les hommes et les femmes qui l’avaient précédée, ambitieux comme elle d’action, de reconnaissance et de découverte, avaient mis leurs dons au service des leurs : Décider, Soigner, Savoir, Créer.

Mais le temps des Anciens n’était plus. Alors qu’elle grandissait, cette contrée oubliée fit l’objet d’évènements extraordinaires qui devaient marquer pour longtemps le destin de ses habitants. Tout commença par la visite d’un étrange missionnaire, un homme venu d’ailleurs, bien au-delà des collines et des forêts, mais qui avait appris leur langue rocailleuse pour mieux parler aux gens. Et il amenait avec lui des nouveautés propres à exciter la curiosité des enfants autant que des parents : des images aux scènes richement illustrées, des processions théatrales dont les plus fervents obtenaient de jouer les meilleurs rôles, et des cantiques, chansons construites sur des mélodies si populaires que tous les fredonnaient. Il emballa rapidement les foules, au point qu’on fut bientôt plus de mille à vouloir participer aux processions lors de ses visites, et comme c’était un homme juste et bon, il entra dans la mémoire des Anciens comme «an Tad Mad » : le bon père.

Pour elle, ce fut une révélation : alors que les Anciens n’usaient que de la parole la plus simple pour transmettre leurs savoirs, ces illustrations, ces processions, ces chansons frappaient tellement plus les sens ; et surtout, les visiteurs savaient les réponses aux questions insatiables des enfants les plus curieux ; ils leur parlaient du monde au-delà des forêts et des collines, de la Terre qui est ronde comme les astres du ciel, des territoires vierges au-delà de l’océan à l’Ouest, des quatre horizons ondoyant sous les blés dans les grandes plaines à l’Est, des montagnes si hautes que les nuages s’éventraient sur leurs neiges éternelles, ruisselant de cascades, sur les routes de Rome et de Saint-Jacques; et des constructions des hommes, cités magnifiques aux immenses cathédrales… voilà donc pourquoi les fils et les frères partis vers ces merveilles n’étaient pas revenus.

Mais surtout, les visiteurs portaient des livres, où ils savaient graver la parole qu’on leur confiait. Avec quel ravissement vit-elle son nom inscrit en belles lettres courbes comme les symboles dessinés par les constellations d’étoiles de ses rêveries nocturnes… tout juste fut-elle déçue de le voir si petit, tel de fines pattes de mouches qu’elle ne savait reproduire. Car ces lettres dansaient devant ses yeux sans signification, et brouillées par ses larmes de frustration devant ce savoir à jamais inaccessible : après ces jours de fête, elle reviendrait à ses tâches quotidiennes, condamnée à l’ignorance. Tout au plus, comme elle avait accouché peu de temps auparavant d’un magnifique garçon auquel on donna le rôle du divin enfant, son unique heure de gloire devait-elle rester sa prestation dans le rôle de Marie, dans la plus belle des processions menées par cette nouvelle ferveur.

Elle ne pouvait se résigner à la pérennité de ce destin injuste.

http://www.sandrinegestin.com

Ainsi, dès lors, elle ne cessa d’encourager les siens vers un progrès dont elle imaginait les lumières et les bienfaits comme ceux du plus brillant des astres, référence naïve à ce lointain roi Soleil dont les fastes et les guerres nécessitaient toujours plus de taxes jusque dans ses collines et forêts reculées. Hélas, cet idéal l’engagea sur un long chemin douloureux, car dans son impatience elle négligea de bien mesurer les subtiles frontières entre le Bien et le Mal, le Juste et l’Erreur, malgré les avertissements de ceux qui savaient, Anciens et Nouveaux. Ainsi celui-là même de ses enfants qui faisait sa gloire et son plus grand espoir, ce fils magnifique et adoré, si brillant et plein d’énergie comme elle l’avait toujours été, passa trop vite, et fort vainement, au monde des morts. Pendu à un arbre à tout juste seize ans avant la moisson de 1675: les Bonnets Rouges avaient tenté la révolution un bon siècle trop tôt, en cette contrée de Bretagne, toujours ignorante de la culture et du savoir des savants… mais brutalement confrontée à l’histoire.

http://www.sandrinegestin.com

Sa modeste histoire, elle, aurait dû s’arrêter là, comme tant d’autres. Mais elle puis ses filles continuèrent de vivre plus ardemment que leurs pairs, l’esprit sans cesse en éveil agité par des questions sans réponse, et animées avant tout par la volonté de bien faire, de mieux faire, pour elles et pour les leurs. Ainsi son histoire continue dans celles dont les traits rappellent les siens, et qui ont hérité ses rêves – rêves qu’à force de patience et de sagesse, leur temps enfin venu, elles ont réalisés, par-delà les collines et les forêts, et jusque dans les livres, puisque ce récit lui est dédié.