Douance sans violence… douance sans souffrance… je les ai posés ici ces mots, il y a quelques semaines.
Je deviens plus lucide sur la douance et les différences qu’elle engendre, mais çà ne résoud rien.
L’entretien annuel avec les profs d’Ondine ne s’est pas du tout passé comme je le craignais: je n’ai rien appris que je ne savais pas déjà. Mais il ne s’est pas non plus passé comme je l’espèrais: non, ils ne savent pas plus que moi (plutôt moins, en fait) le mode d’emploi d’éducation de ma zébrette…Car le cas Ondine sort complètement de leur expérience, et défie toute logique.
Elle est tellement peu engagée dans le travail scolaire, dans la lune, désorganisée, occupée à ses propres projets (comme la rédaction de son journal intime au lieu de la correction de ses conjugaisons pendant les heures d’étude) qu’elle devrait être en échec total – mais les notes, sans être bonnes (et loin s’en faut), ne justifient pas une ré-orientation. Ils lui ont alloué une coach en organisation qui vérifie qu’elle met à jour son agenda correctement, ils lui font ranger son pupitre toutes les semaines (et moi, penser à trier son cartable régulièrement), et pour le reste, ma foi, tant que çà suit… je reprends: tant que JE la suis… avec cours d’appuis quand je n’en peux plus de me battre sur ses refus des devoirs et ses refus d’apprendre “c’est ennuyeux” “c’est inutile” “çà ne m’intéresse pas”… cours d’appui de quelques heures qui lui suffisent à rattraper un mois d’inattention en classe… enfin, si çà se passe dans la bonne humeur, parce que l’enseignant de cours d’appui est motivé et vu qu’elle apprend vite, ils se mettent très vite dans une spirale positive. Alors que moi, j’ai aussi des tas de projets moins ennuyeux que de reprendre ce que j’ai appris il y a 30 ans, et d’ailleurs j’ai toujours détesté expliquer aux autres une fois que j’ai compris quelque-chose, parce que je n’ai jamais su l’expliquer clairement. Donc,faire la prof à la maison c’est une monstre corvée pour moi, “c’est ennuyeux” mais “c’est nécessaire”, “on n’a pas le choix”… spirale négative. Et comme on habite à la campagne, faire venir un étudiant tous les soirs après l’école n’est pas une option, à moins de me transformer en chauffeur de taxi, ce qui est encore plus ennuyeux (et au moins, en gardant un oeil sur les devoirs, je peux préparer mon souper de légumes bio, ce n’est pas que du temps perdu!).
En fait, avec Ondine, j’ai plus de succès comme enseignante sur ce que je n’ai pas appris, comme la mythologie grecque et égyptienne et la civilisation latine, car on s’est bien amusées ensemble sur ses leçons-là en les explorant les week-ends en les mettant en images, récits, théatre etc. Réviser le latin m’amuse aussi, car j’aime beaucoup la logique de cette langue que je n’ai plus pratiquée depuis le bac. J’ai délégué les maths à Mari Charmant, par contre – çà l’amuse plus que moi, et çà me soulage un peu… sauf que c’est quand même à moi de lui rappeler de s’en occuper… c’est moi la perfectionniste…
J’ai volontairement laissé les paragraphes ci-dessus sans le structurer comme j’écris d’habitude pour les rendre plus simples, plus clairs… Parce qu’ils sont ainsi plus à l’image de comment je pense… des idées qui se connectent à toute vitesse, sans cesse, çà fuse, çà boucle, çà explose, çà jaillit, çà reboucle… et les mots ne disent pas tout, il y a aussi les tourbillons de sensations, d’émotions, et toute mon imagination qui se mélangent derrière* la logique, la structure de mon mental qui garde tant bien que mal le contrôle de tout ce désordre. Derrière*: ou devant, ou dessus, ou dessous, ou dedans, je n’en sais rien: ce n’est pas linéaire, ni même plan, ni même spatial dans ma tête, çà doit être multidimensionnel! mais j’accroche quand même le plus possible mes pensées à des repères dans l’espace – images, concepts, mots que je vois écrits – et dans le temps – ma mémoire est très précise et j’ai une ligne de dates en permanence dans ma tête, passées et futures. Cela met un peu d’ordre, ou en moins de logique, dans ce tourbillon…
Le plus perturbant pour moi est que je croyais encore récemment que tout le monde pensait comme çà. Même Mari Charmant et Lili – mais non, on en a beaucoup discuté depuis que je me documente sur les cerveaux de HP: leur pensée à eux est plus calme, plus centrée, plus structurée, une idée à la fois, très logique; ils vivent au présent, et ils s’expriment très clairement, avec impact, avec les bons mots et la bonne intonation, parfaitement alignés sur leurs pensées et leurs émotions, ce qui leur donne un leadership naturel; ils sont aussi plus fluides dans leur relation au temps, au monde physique – mieux coordonnés, par exemple, sans ce décalage entre la pensée et le corps auquel je dois toujours faire attention (être dans la sensation du moment présent, pas perdue dans mes pensées, sinon… badaboum! çà m’est encore arrivé sur un téléski hier, alors que je visitais dans ma tête un appartement avec tous les détails visuels, je me suis retrouvée les 4 fers ou du moins les 2 skis en l’air sans avoir compris ce qui s’était passé…). Ils ont pourtant aussi beaucoup d’imagination, c’est juste moins fouilli, moins détaillé que les créations d’Ondine ou les miennes – plus synthétique, plus global.
Après l’entretien avec les profs, je me suis réveillée au mileu de la nuit et je me suis mise à pleurer. L’un des profs m’avait demandé, gentiment (clairement, pour mieux comprendre) si ma fille n’était pas un peu autiste, tellement elle se met les profs à dos. Je ne connais rien à l’autisme, alors je me suis documentée, mais clairement ce n’est pas du tout son diagnostic. Mais plus je lis sur tous ces cerveaux différents, plus je réalise à quel point la frontière est fine entre le haut potentiel et certains troubles psychiatriques. Et plus je lève le voile sur des pans entiers de moi que je ne voulais pas voir… ma différence. Et je revois d’autres souvenirs de ma famille, de difficultés scolaires, de dépressions, de burn out – serait-ce génétique?- et mes propres fragilités psychologiques que j’ai toujours surmontées mais avec lesquelles je dois toujours composer – le doute, la culpabilité, la honte, la peur, ne sont jamais bien loin. Fichu cerveau tordu! Je pourrais être schizophrène si je me laissais happer par le négatif, car je peux déformer la réalité sans peine, mais je sais maintenant assez contrôler mes pensées pour ne le faire qu’en positif, par exemple pour rendre le quotidien plus amusant ou faire émerger de nouvelles solutions à des problèmes non résolus – et je sais toujours revenir au rationnel, le bon sens paysan de ma famille et ma formation scientifique m’ont beaucoup structurée là-dessus heureusement. C’est pour çà aussi que j’insiste autant sur ces apprentissages “cerveau gauche” pour Ondine, c’est si important pour stabiliser le tourbillon…
Mais à 3h du matin cette nuit-là, j’ai retrouvé la peur, la colère, la tristesse d’être différente, comme si c’était une tare, comme si je ne pouvais pas complètement me connecter au monde et aux autres parce que je suis “trop”. Je me répétais en boucle, “je ne serai jamais normale, ma vie ne sera jamais normale, je dois l’assumer”… J’ai compris il y a quelques semaines que j’avais développé toute une panoplie de “faux selfs” que je joue, comme au théâtre, en fonction de mes interlocuteurs, pour être normale. Et perdue dans cette panoplie patiemment construite depuis l’enfance, l’adolescence, dans mon parcours de vie, je ne sais pas qui je suis au fond de moi, et c’est tout mon conflit psychologique depuis quelques années: le “qui je suis” se remplit d’énergie au fil de mon développement personnel, mon parcours de vie amené tellement d’expériences inattendues que je ne peux plus être banalement normale, et pourtant… à 3h du matin voilà que je pleure parce que je suis décidément trop différente, j’ai peur de cette différence… j’ai peur du rejet, de la jalousie, de la solitude… je pleure car je ne suis pas “normale”, ma fille n’est pas “normale”… je pleure quand je lis que le haut potentiel, c’est une mode, que c’est une invention de parents-rois, que ces enfants sont juste mal élevés, que s’ils sont si intelligents ils n’ont qu’à se débrouiller tout seuls… je pleure parce que je revois dans le parcours de ma fille tellement des épreuves que j’ai moi-même dû traverser pour m’adapter à ce monde… je pleure parce que je l’ai vécue cette différence, donc je sais bien qu’elle existe, mais je l’ai fuie, je l’ai niée, je l’ai tue, je l’ai écrasée, je l’ai refusée, et maintenant… je la pleure, cette différence, parce qu’elle me rattrape à travers ma cadette, comme si j’avais encore tout à apprendre, rien résolu.