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Ma belle-mère et moi

De tous les gens qui m’entourent, elle est la plus malheureuse.

Mais aussi, de tous les gens qui m’entourent, elle est la plus fatigante.

Elle est de passage ces temps-ci; mais nous ne la logeons pas chez nous, car le partage de la cuisine avec une maniaque du bio-dynamique-diététique poussé à l’extrême dépasse de loin la capacité de tolérance de Mari Charmant même (ou surtout?) s’il s’agit de sa chère maman. Il faut bien comprendre que ces principes impliquent typiquement 4 à 6h par jour pour la préparation et l’absorption des repas, à force de précautions en tous genre dans la manutention, la manipulation et la conservation des précieux nutriments, par exemple cuisson lente forcée à basse température.

Le plus bizarre dans toute cette histoire, c’est qu’elle n’interagit quasiment qu’avec moi. Je l’avais invitée à venir en Suisse l’an passé car j’avais mauvaise conscience de ne plus trouver le courage de traîner Mari Charmant et les filles chez elle à l’occasion de nos visites multi-familiales sur Paris. Ces visites sont des marathons que j’évite désormais, préférant recevoir moi-même dans mon petit coin à touristes, et nous n’arrivions plus de toute façon, les enfants grandissant, à entasser tout le monde pour une nuitée dans son 3 pièces 1/2.

Mais j’avais été très surprise de découvrir à son premier séjour qu’elle ne s’intéressait qu’à moi, sa belle-fille??? Certes, Mari Charmant la fuit depuis son adolescence et je vois mal comment il changerait d’attitude si elle ne change pas la sienne en premier lieu. Mais les enfants aussi ont vite compris qu’elles n’avaient pas là une nouvelle compagne de jeux, et encore moins une Mamie Gâteaux ("du sucre blanc? mais c’est du poison à petit feu mes pauvres petites!"). Pour elles, c’est la grand-maman #3 et probablement un grand mystère. Sans intérêt…

Donc, il lui reste Kerleane. C’est plus fort que moi, quand les gens sont insupportables, j’essaie quand même de les supporter. Du moins pendant un certain temps, après quoi je finis par fuir comme tout le monde, mais bon, ce temps-là c’est déjà cela de pris pour ces pauvres gens. Parce qu’avant de la voir insupportable, moi je la vois malheureuse. Et moi cela me fait de la peine, ne serait-ce qu’égoïstement parce que c’est la grand-mère biologique de mes filles – je n’aime pas l’idée qu’elles traînent un boulet pareil dans leur histoire familiale.

Alors je prends sur moi, et je l’écoute, et je l’observe. En fait, c’est un sujet d’observation absolument fascinant. C’est une personne à haut potentiel (si ce terme peut encore s’appliquer au 3ème âge?), mais complètement handicapée dans ses relations avec autrui. Cela se traduit maintenant par l’apparition d’une surdité extrêmement handicapante. Mais les examens médicaux n’ont rien donné, et pour cause, j’ai pu la tester moi-même: elle entend des cris d’oiseaux dans la montagne et peut écouter du Bach sur ma chaîne hifi, mais elle n’entend plus la voix humaine dès que ce qu’on lui dit ne l’intéresse pas. Ou qu’elle ne veut pas l’entendre. C’est fascinant: on dirait que son cerveau (son mental, diraient certains) la manipule en bloquant, filtrant les entrées de façon très sélective. Par exemple, moi, elle m’entend très bien. Même au téléphone. Mais à condition que je fasse un effort de communication vers elle, que je sois bien disposée, que je me concentre sur ce qu’elle a envie d’entendre.

(à suivre)