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1981… et si on rêvait encore?

Le monde de mes 10 ans me paraît bien loin.

Un lundi matin, mai 1981. C’est ma première classe verte. Toute excitée, je n’ai presque pas dormi de la nuit, tant j’ai eu peur de ne pas entendre le réveil! Le car qui va conduire les CM1 et CM2 dans le Massif Central part à 6 heures: il fait encore nuit noire, quand les enfants encore ensommeillés se rassemblent dans la rue. Enfin c’est le départ, et nous regardons la gorge un peu serrée soudain les au-revoir de nos parents sur le trottoir qui s’éloignent, s’éloignent…

Mais 500m plus loin, les maîtres demandent au car de s’arrêter! le Bar-tabac-PMU-presse du haut du quartier est déjà ouvert, et l’un d’eux court vite acheter les journaux du matin. Je me rends compte soudain qu’ils sont tout excités eux aussi; joyeux comme je ne les ai rarement vus; le visage fendu d’un large sourire, car pour eux aussi, c’est une première, la réalisation d’un rêve… La gauche est au pouvoir! ils partiront bientôt en retraite à 55 ans…

C’est ma petite voisine dans le car qui m’explique tout cela. Elle me demande si mes parents étaient contents ou tristes, hier soir. Tant de gens ont fait la fête. Mais ses parents à elle étaient déçus. Elle en reprend l’air grave et dépité. Moi je ne sais pas. Nous avons regardé les résultats, mais on ne parle pas de politique chez moi, et mes parents n’ont manifesté ni joie outrancière, ni grosse déception. Je suis toute étonnée donc de voir ce matin-là combien ces élections passionnent les autres! quelque-part, la joie de mes maîtres est communicative… le soleil se lève, et nous partons à l’aventure… quelle belle journée!

Et quelques mois plus tard, j’ai 10 ans, je suis en CM2, le maître toujours aussi joyeux et enthousiaste veut partager avec nous un peu de son idéal: il rêve d’Europe à présent, elle va se faire enfin, bien loin derrière lui sa petite enfance pendant la guerre, les Allemands sont enfin nos frères, et bientôt aussi les Espagnols, les Portugais, les Grecs!

Alors voici ce qu’il nous apprend à chanter, sur la 9ème symphonie de Beethoven choisie pour l’hymne européen:

Que la joie qui nous appelle, nous accueille en sa clarté,
Que s’éveille sous son aile l’allégresse et la beauté.
Plus de haine sur la terre, que renaisse le bonheur,
Tous les hommes sont des frères quand la joie unit les coeurs.

Peuples des cités lointaines qui rayonnent chaque soir,
Sentez-vous vos âmes pleines d’un ardent et noble espoir ?
Luttez-vous pour la justice, êtes-vous déjà vainqueur ?
Ah qu’un hymne retentisse à vos coeurs mêlant nos coeurs.

Si l’esprit vous illumine, parlez-nous à votre tour,
Dites-nous que tout chemine vers la paix et vers l’amour.
Dites-nous que la nature ne sera que joie et fleurs,
Et que la cité future oubliera le temps des pleurs.

Je n’ai pas beaucoup de mémoire pour les chansons, mais je n’ai jamais oublié les paroles de celles-ci. Il y a quelques mois, j’ai voulu la chanter à nouveau, pour l’apprendre à mes filles, mais je n’ai pas pu. Je ne sais pas pourquoi, ce chant est pour moi trop chargé d’émotion, de nostalgie: ma voix tremble et je suis au bord des larmes avant la fin du premier couplet…

Car mon maître est un vieux monsieur désormais…

MarseillaiseAujourd’hui, c’est ma petite soeur, même pas encore née en mai 1981, qui enseigne aux enfants du primaire… et à son programme, obligatoire depuis une loi passée en 2005, l’apprentissage de l’hymne national, ce chant sanguinaire des pires heures de la Révolution, mais auquel tout Français doit le respect, sous peine de 7500 euros d’amende et 6 mois de prison, selon la loi de sécurité intérieure passée en 2003.

Que c’est loin le 20ème siècle: même l’aux armes etcetera de Gainsbourg est mort, mort, mort…

Alors moi, je trouve que c’est dur d’être devenue adulte, d’avoir 30 ou 40 ans aujourd’hui et d’avoir vu les rêves de nos parents s’évanouir comme de tristes chimères… même si tout cela a moins d’importance pour moi aujourd’hui puisque j’ai quitté ma patrie pour aller plus près de ces "cités lointaines qui rayonnent chaque soir", j’ai mal au coeur… alors pour ceux qui sont restés et qui partageraient ma peine, même si vous êtes une minorité dans les sondages, voici tout de même quelques liens pour rêver encore de construire, avec nos simples mots plutôt que de grands idéaux politiques, un monde meilleur dans lequel les petiots de notre "Douce France, chère patrie de notre enfance" n’auront plus à chanter "Ils viennent jusque dans vos bras – égorger vos fils, vos compagnes!" et "Tous ces tigres qui sans pitié – déchirent le sein de leur mère" (ben oui c’est dans les paroles!).

  • Proposer une nouvelle version pour la marseillaise des enfants jusque fin 2007 (concours ouvert tout particulièrement aux classes scolaires): ici.
  • Signer l’appel de Graeme Allwright  pour une nouvelle marseillaise: ici.
  • Une autre association pour une nouvelle marseillaise: ici.
  • Les paroles en français de l’hymne européen officiel (la version que j’ai apprise à l’école est une variante officieuse apparemment, mais la musique est la même): ici.