2004 – Emancipation

Avec le recul, je réalise que c’est au beau milieu des épuisantes tribulations et angoissantes bousculades de ce printemps 2004 que je suis vraiment devenue adulte.

L’étape marquante s’est produite dans le courant du mois de mai, lors d’une visite de mes parents venus me dépanner une semaine pour garder les puces pendant que Super Nounou prenait des vacances bien méritées.

J’avais depuis près de six mois réservé une location sur une île de la côte atlantique qui m’attire depuis des années. Mais je n’en avais encore rien dit à mes parents – car cela signifiait que cette année nous passerions nos vacances à la mer loin d’eux, et je préférais en parler de vive voix.

Evidemment, quand l’occasion s’est présentée, cela n’a pas été facile. C’était un soir après ma journée de travail et le souper préparé par ma mère, les enfants au lit, les hommes occupés je ne sais où. Je me souviens juste des précieux rayons de soleil rasants des soirs de mai, qui passaient enfin, à l’approche du solstice, à travers les grands arbres de derrière, jusqu’à la fenêtre de ma cuisine où je finissais de ranger la vaisselle avec Maman.

Elle a mal réagi.

Mais, pour la première fois de ma vie peut-être, moi pas.

Je l’ai regardée, déchiffrant presque consciemment tout son langage non verbal, en même temps que j’écoutais tous les arguments fallacieux qu’elle improvisait soudain pour me convaincre que ce choix de vacances n’était pas une bonne idée.

Ainsi, je voyais clairement devant moi les émotions négatives qu’elle me renvoyait brutalement et que jusque-là, dans de telles occasions (heureusement rares!) j’avais toujours laissées s’amplifier en moi et déborder jusqu’à ma propre perte de contrôle (typiquement, les larmes et la fuite, car je ne suis pas d’une nature colérique). Car j’étais toujours enfermée dans mon rôle de petite fille auprès d’elle, malgré tous mes efforts pour m’en sortir depuis l’adolescence.

Je voyais donc ces émotions – mais pour une fois, c’était clairement SES émotions, pas les miennes. Et au-delà du stress et de la fatigue, ou peut-être justement parce que j’étais dans une période tellement surmenée car ce petit incident n’était même plus capable de m’effleurer émotionnellement, je suis restée très calme.

Chaque argument qu’elle m’exposait était parfaitement démontable, car j’avais passé des soirées entières à préparer ces vacances et je n’avais négligé aucun détail. Des moustiques au surpeuplement en passant par l’eau froide, elle ne m’épargnait rien de ce que son imagination lui proposait dans le mode panique généré par ses émotions. Mais j’avais réponse à tout. Il y a des gens que la logique laisse insensible, mais pas Maman: elle a un bac+4 en maths, et je tiens mon esprit rationnel et logique autant d’elle que de mon père… Donc, en restant factuelle, je l’ai très vite ramenée à une discussion plus sensée et moins biaisée par les émotions, du moins, dans le langage.

En particulier, cela l’a forcée à m’écouter enfin, d’abord avec sa raison, puis plus profondément; car je me suis vite jetée dans le créneau, improvisant à mon tour, pour lui dire ma déception de la voir me détruire ainsi mon rêve de vacances dépaysantes, dont j’avais tant besoin à ce moment. Et cela juste parce qu’elle était déçue, triste et angoissée que je la laisse tomber… Je lui ai formulé verbalement, calmement et clairement, ces émotions qui venaient de l’aveugler jusqu’à m’exposer des arguments qui ne tenaient pas la route, et ce que ses émotions m’imposaient à moi, alors que j’attendais d’elle un autre soutien, plus positif…

Pour la première fois de ma vie, je l’ai prise en défaut. Car c’était la première fois que je la voyais soudain plus faible que moi, et à ma grande surprise, je l’ai entrevue trembler, comme si à son tour, elle devait maitriser une montée de larmes, alors que moi je restais calme… Elle m’a encore juste demandé ce qui m’arrivait, pourquoi je réagissais si bizarrement, car visiblement, pour elle aussi, quelque-chose avait changé… je me souviens lui avoir expliqué en 2 ou 3 phrases que je n’avais fait qu’appliquer avec elle les stratégies relationnelles apprises et développées sur le tas au travail. S’accrocher aux faits, aux arguments, à la logique au-delà des émotions et des schémas-types trop souvent figés, une fois qu’on a appris à décoder ces derniers intuitivement…

Nous nous sommes séparées pour aller méditer, ou oublier, cet incident chacune de notre côté.

Sur le coup, j’étais contente de moi, de ma maîtrise, de mon progrès…

Aujourd’hui, avec le recul, je regarde cette étape-là comme essentielle, mais j’en conçois aussi une certaine tristesse. La semaine suivante, elle a accompagné Mamie vers une étape difficile, sa perte d’autonomie nécessitant une hospitalisation permanente. C’était planifié pour son retour de Suisse, elle le savait, elle s’y préparait donc aussi psychologiquement… Bêtement, je n’ai pas du tout relié ces faits à l’époque, mais maintenant que je reconstitue le puzzle sur mes papyrus, je m’interroge…

Un cran de plus dans l’engrenage de la vie.

Depuis ce jour en tout cas, il me semble que notre relation a changé. Je suis plus sereine, je la comprends mieux, elle m’écoute et me parle avec plus de respect… passer cette étape m’a permis aussi de me tourner vers d’autres horizons… mais il me reste bien d’autres étapes à franchir, et je dois encore tant apprendre d’elle!

2 thoughts on “2004 – Emancipation

  1. cela me rapelle le matin ou je suis rentrée à la maison, aprés une de mes premières nuits entières dehors.
    Je croyais que ma mère dormait, mais non. Elle était là sur le balcon à boire son café matinal.
    Elle m’a juste demandé: “tu prends une tasse de café?”
    A quoi j’ai répondue: “oui”.
    C’était ma première tasse de café. Cette boisson amère reservée pour les adultes.
    En m’offrant cette tasse, ma mère m’avait offert mon émancipation. Je n’était plus la mome du jour d’avant.
    J’ai beaucoup appréciée cette tasse de café, et je ne l’ai même pas trouvée amère.
    c’est important , je pense, de pouvoir accepter le bonheur des autres, mêmes si ce n’est pas forcément le notre. une dure lesson, que je continue d’apprendre, de tous ceux qui me montrent un chemin que je trouve beau…

  2. Avant, tu avais peut-être une relation de type parent-enfant.
    Cependant étant à ton tour maman, tu as grandi, et cela te permet à présent d’avoir une relation d’Adulte à Adulte avec ta maman.
    Ce sont ce genre de relations qui sont les plus dur à mettre en place au niveau familial quand l’initiative vient de l’enfant. Mais tellement riches ! Il faut avoir du courage pour les mettre en place.
    Pour partager mon expérience, en tant que parent, je trouve que c’est extrèmement riche de construire une telle relation avec ma fille, et ceci dès son plus jeune âge. J’ai beaucoup appris d’elle ainsi, et je pense que c’est aussi le meilleur moyen pour qu’elle apprenne de moi.
    Si tu veux plus d’infos sur le sujet, je te conseille de lire le guide marabout de l’Analyse Transactionnelle. Pour la coïncidence, je vais en parler dans ma prochaine note sur mon cheminement.
    😉

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